Despair ouvrit lentement ses paupières comme soudées les uns aux autres par un mélange de larmes et de sang séché. Sa tête lui paraîssait lourde comme de la pierre et les souvenirs qui lui revenaient en un instant n'arrangèrent rien. Il remarqua en premier que ses yeux étaient bandés. Une bande de tissus pressait sa tête et à chaque mouvement de sa part, il avait l'impression qu'un boa constricteur cherchait à faire éclater sa boîte crânienne.

La seconde chose qu'il remarqua, c'est qu'il était attaché à une lourde chaise. Encore. Il tendit l'oreille. Attentif à ce qui l'entourait, sa vue ne lui servant plus en rien pour le moment. Il distingua des bruit de pas... D'un seul personne. Il sentit son souffle s'accélérer. Il avait peur dans l'obscurité. Ce n'est pas le noir l'effrayait mais se retrouvait aveugle le paniquait. Il y avait goûté, ce qui lui paraissait être des siècles auparavant, alors que c'était il n'y avait en vérité pas si longtemps, lorsqu'il était tombé dans cette crevasse pleine d'esquissées-araignées en tentant de sauver Servaise. Il en avait aussi des aperçus chaque nuit dans son vrai corps purifié, son corps d'âme qui ne voyait pas dans le noir comme son corps de démon. Se retrouver privé de la vue le figeait. Il voulut bouger mais ses poignets liés le retinrent. Le souvenir de son humiliation au centre du palais remontèrent de sa mémoire. Juste avant son incarnation et son exécution, lorsque Lava l'avait sauvé, lorsqu'il était devenu la bête de foire des autres démons du Palais.

Il avait beau tenter d'enfouir ce passage sous d'autres pensées, il remontait comme des grosses bulles qui viennent des fonds marins et qui finissent par crever la surface, peu importe à quel point on les brisent en plus petites bulles. 
Des ricanements retentirent autour de lui. Il fut incapable de les situer avec précision. Les bruits de pas s'y mêlaient. Ça lui donnait l'impression que quelqu'un riait en l'observait sous tous les angles. Il finit par lâcher d'une voix étranglée

- Qui est-ce ? Asterath ?

Il se rendit immédiatement compte de la bêtise de sa question, ce qui se tenait devant lui avait un rire féminin.  Soudain des doigts puissants agrippèrent son menton sans ménagement et une lame s'enfonça dans son épaule, le prenant par surprise. Il poussa un cris étouffé entre ses dents serrées, et essaya de se débattre.

- Qui êtes-vous !

La pression sur son menton se relâcha et la présence disparut soudainement. Sa respiration se fit lourde, chargée de douleur. Il appela

- Eh oh ? Il y a encore quelqu'un ?

Mais il ne reçu que du silence calme réponse. Plusieurs minutes s'écoulèrent. Coupé de tout. À vrai dire, seule la douleur était encore là pour lui rappeler qu'il existait. Sa respiration se fit lentement plus courte, plus saccadée. Il se pencha comme il put, recula, se balança autant que ses liens le lui permettaient, mais c'était inutile. Sa voix était éraillée quand il cria

- Eeeeh !!! Eh oh !!

Dans le noir, dans le silence, immobilisé, il sentit ses pensées insidieusement remonter vers sa conscience, les émotions passées, refoulées, qu'il enfouissait tant bien que mal, venir se rappeler à lui de force.

Des milliers d'années en enfer. La nuit il ne rêvait pas, plus depuis si longtemps. Mais s'il devait, ce serait des cauchemars qui viendraient hanter son sommeil.

Des cauchemars de chaque fois qu'il avait été torturé à en devenir fou par un démon, chaque fois qu'une autre âme venait renforcer sa solitude par une trahison, chaque fois qu'ensuite devenu lui-même devenu une des créatures qu'il haïssait, il avait infligé désespoir et malheur. Qu'il s'en était nourris et l'avait absorbé pour l'enfoncer un peu plus en avant dans son état de corruption vers le point de non-retour. S'encrasser dans cette absence de rébellion, baisser les bras et ne plus réfléchir. Juste exécuter, mécaniquement, sa routine comme celle de tous les démons, et faire lentement tourner les rouages de la machine des enfers, jusqu'à ne plus être qu'une coquille vide. Et puis l'étincelle. La claque. La brûlure. Le sursaut. Lava. Lava. Lava.

Lava.

Lava.

Elle était attachée.
Encore.
Ça se répétait sans fin, toujours, elle finissait attachée, et peu importe qu'elle se libère encore et encore, elle finissait attachée de nouveau. Mais cette fois au moins, ses yeux n'était pas bandés et elle pouvait observer autour d'elle. La cathédrale. Et personne. Soudain elle entendit des bruits de pas, puis Asterath arrivant de derrière se plaça face à elle.

- Bon réveil Lava.

Elle tilta en entendant son nom. Il savait. Tant pis alors.

- J'ai besoin de sortir, j'ai quelque chose à faire dehors.

Elle serra les poings, en sentant une sorte de colère monter en elle.

- Ils ont toujours quelque chose à faire dehors...pauvres...pauvres petits enfants...jamais heureux, jamais satisfaits, et me voilà ! Obligé de les enfermer par sécurité....

Elle remarqua soudainement l'absence de Despair. D'abord un coup de panique, puis l'impression que son coeur lui tomba dans l'estomac. Et enfin, qui vint véritablement s'installer avec force, la colère. Elle montra les dents, sans s'en rendre compte, et un grognement accompagna ses mots.

- Où est-il ?!

- Ton amoureux ? Awww..comme c'est mignon...... Dans la salle de torture.

Et il termina son annonce en souriant largement découvrant ses dents. Son grognement involontaire, elle ne chercha même plus à le contenir, il était violent et animal. Ses lèvres découvrirent ses gencives. Elle contracta ses muscles, puisant dans son énergie noire, tirant sur ses liens pour se libérer, ces derniers craquèrent mais ne cédèrent pas.
Ses mots étaient difficilement compréhensible, sa voix à peine humaine

-... ne lui...faites..pas...de mal....

- Oho ! Mais tu pleine de ressources de ma petite ! Malheureusement.....je ne veux pas te faire du mal. Ne t'inquiète pas, ton amoureux va bien. Théarchiase lui a juste saigné l'épaule.

Son grognement diminua un peu tandis qu'elle se rassura un peu. Il ne le tueront pas, il l'ont légèrement blessé, mais son existence n'était pas en danger....

- Il faut que je trouve un ange...j'en ai besoin. C'est pour ça qu'il faut que je sorte.

- Un...ange ? C'est quoi, ça ?

Cette question confirma à Lava son impression sur l'ignorance d'Asterath quant à sa nature. Elle répondit

- C'est un être qui ressemble au corps qu'à Despair. Avec un anneau sur la tête. Mais Despair n'est pas vraiment un ange. Il en faut un qui vient d'un endroit spécial. Il faut qu'il vienne du paradis.

- Pa...paradis ? C'est quoi, ça ?

- C'est un endroit...

Elle cherche comment lui expliquer mais elle ne trouve pas d'explication qui lui convienne. Elle finit par faire un signe de tête vers le portail de la fin des enfers.

- Par là-bas il h a un portail. Derrière ce portail, il y a du brouillard puis un second portail. Derrière ce second portail, il y a le paradis. Là-bas le ciel est bleu, les âmes sentent mauvais et on trouve des anges... Et j'ai besoin d'un ange.

Asterath fit un petit geste agacé

- Compliqué. Bien trop compliqué. Tu me donnes mal à la tête Lava. Je vais devoir te consigner dans ta cloche.

Sa cloche ? Il enfermait les âmes dans les cloches ?! Qu'est-ce que ce lieu faisait au beau milieu des enfers ? Elle ne ou ait pas le laisser l'enfermer nul part !

- Non ! C'est simple ! Vers là-bas il y a un endroit et je veux quelque chose de cet endroit !

Elle se débattait et alors Asterath dégaina un poignard

- Chuuut.... Ce sera rapide...

Elle montra de nouveau les dents, menaçante.

- Non !

Elle puisa dans son énergie noire, et cette fois ci elle fit sauter le lien retenant sa mains droite qu'elle jette immédiatement vers Asterath pour arrêter sa lame. Aussitôt qu'elle le fit, d'un geste trop rapide pour quel ne le perçoive, le poing de l'esquissé vint s'enfoncer dans sa joue avec violence, faisant frapper sa cervelle contre sa boîte crânienne, explosant en petites étoiles dansant devant ses deux, laissant sa mâchoire comme anesthésiée

- Arrête sinon je vais devoir te punir.

Elle fut sonnée, mais elle garda juste assez de lucidité pour garder son poing bien serré sur le fil tranchant du poignard qui pourtant ne coupait pas sa chaire et ne faisait pas couler son sang. Sa paume était devenu épaisse. Très épaisse..

- N...non....

Asterath attrapa son visage au niveau des joues et lui chuchota

- Chuuut... Tout ira bien Lava..Mais si tu te débats...... J'ai eu une mauvaise journée aujourd'hui.

Les derniers mots résonnèrent à ses oreilles "une mauvaise journée aujourd'hui". Elle était toujours sonnée par le coup de l'esquissé, et ils tournèrent dans son crâne et se superposèrent avec une autre voix venant d'une époque plus lointaine. Elle se souvient alors des mains qui remontaient sur sa jambes tuméfiées, rebroussant sa robes déchirées, imbibées de sang et de vomis, de cette haleine empestée d'alcool qui venait se souffler directement d'entre ses lèvres tordues de dégoût sans qu'elle ne puisse de libérer de la poigne brutal sur son visage. La nausée la submergea et un voile de panique recouvrit sa pensée, la paralysant. Sa respiration se fit courte, légère. Irrégulière comme les battements d'ailes d'un papillon de nuit. Asterath reprit

- Tu vois, tu peux être raisonnable...

Il reprit sa dague des mains de Lava qui n'opposa aucune résistance.

- Ce sera rapide ne t'inquiètes pas.

Elle ir figée, des larmes aux yeux tremblantes. Les souvenirs qu'elle ne voulait surtout jamais revoir et oublier lui reviennent.

- Qu'est-ce qui te met dans cet état voyons ?

Elle ne réagit que très peu, secoua un peu la tête, et répèta comme une litanie

- Allez vous-en, laissez-moi partir, ne me touchez pas.

Asterath éclata de rire et enfonça sa dague dans le ventre de Lava qui ne sursauta qu'à peine et sentit immédiatement son énergie être happée hors d'elle. Elle sentit aussi l'air qui caressait les cloches, au sommet de la cathédrale. Elle ne savait plus ce qui se passait. Ni où se trouvait le haut ou le bas, tout lui échappant. Elle se raccrocha à ses pensée, mais elle lui échappèrent alors qu'elle perdait pied avec ce qui l'entourait. Il lui sembla tomber : en vérité elle s'éleva, droit dans une des monumentales cloches de l'édifice. Elle parvint à articuler une dernière phrase.

- Satan...reviendra...encore...

- C'est qui Satan ?!

Il éclata encore de son même rire. Lava se retrouva alors dans un espace entièrement doré, remplie de centaines d'âmes et de démons, hurlant, courant dans tous les sens sans logique, chantant, en proie à une sorte de grande souffrance. Tous avait l'air fous. Tous étaient complètement fous. Et elle compris en une seconde, alors que la sensation d'être broyée par dix tonnes de métal la submergea. Elle ouvrit la bouche comme pour crier mais rien de sortit, et seul. des larmes coulèrent de ses yeux écarquillés et voilés de douleur. Un dernier mot, étouffés, articulés comme un appel au secours, franchis ses lèvres avant qu'elle ne perde totalement pied avec ce qui l'entourait.

- D...es...p..a..ir..

Le poids la broyait, l'écrasait comme avec un pilon géant et destructeur, mais paradoxalement alors que son esprit perdait pied, il s'enfonça dans un flou qui se fit de plus en plus doux, une douceur infinis, où elle s'abandonna sans résister. Pourquoi résister ? Le reste lui paraissait tellement atroce et abominable.
Elle n'avait pas la force... Plus maintenant...c'était trop dur, elle avait besoin de lâcher prise sur cet effort constant de rébellion qui lui coûtait tellement.
La douceur, la mollesse et une sorte de douce euphorie la berça dans la passivité la plus complète.