Chapitre 1

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[De toutes les choses qui furent créées en ce monde, aucune n'était parfaite. La peinture qui couvrait la façade des plus beaux édifices s'écaillait/Les plus beaux édifices avaient leurs fêlures, les plus belles toiles avaient leurs impuretés, les plus belles villes avaient leurs taudis... Aussi bien les catacombes reposant sous la cité de l'amour que les frêles constructions qui cernaient la ville merveilleuse, placées sous la bénédiction d'une chaleureuse divinité de pierre.

Même la plus sirupeuse des métropoles, échouée sur la rive d'un majestueux fleuve et couronnant une colline verdoyante, n'échappait pas à la règle. Entre le square aux maisons bariolées et les cercles écarlates qui tapissaient les trottoirs du centre-ville, le quartier arc-en-ciel comptait parmi les plus rayonnants de ses joyaux.]

Entre les rangées de drapeaux multicolores agités par la brise (vespérale), une foule effervescente grouillait (comme une colonie de fourmis). Le brouhaha de leurs exclamations s'élevait jusqu'au ciel où les premières étoiles commençaient à se montrer, alors que d'autres aspects moins reluisants de la cité se terraient à l'abri des regards.

Loin des terrasses animées et des éclats de rire, des immeubles sommeillaient(, pareils à des géants aux yeux multiples plongés dans la torpeur après s'être repu d'un demi-dieu imprudent). Dans leurs ombres, reclus au pied des murs, de larges conteneurs à déchets s'alignaient. Le couvercle de l'un d'eux était entrouvert, et une puanteur nauséabonde émanait de l'interstice. Aux relents de fritures rances et de chairs avariées s'ajoutèrent des sons secs, crispants, qui crevèrent le silence nocturne comme une bulle de savon. Le tumulte des ordures qu'on retournait se mêla à des bruits de grattements : des griffes étaient en train de sillonner le plastique de la poubelle avec une frénésie sauvage. Bientôt, les bruits remontèrent le long de la paroi, et un raton laveur se faufila hors de la benne, un sachet en papier graisseux entre les crocs. Sa truffe remua l'air frais à la recherche de la moindre odeur suspecte. Ses petits yeux noirs balayèrent les alentours avec attention, scrutaient chaque recoin susceptible d'abriter un danger potentiel. D'abord l'extrémité gauche de l'allée, déserte. Puis l'extrémité droite. Un œil le fixait.

Le rongeur se figea, les pupilles dilatées. Ses flancs se soulevaient puis s'abaissaient à un rythme effréné. Il ne détachait plus son regard de la bête informe. Celle-ci le toisait tapie dans la pénombre, imperturbable. Sans signe précurseur, elle déplia ses membres fins en un bond foudroyant, et le raton laveur prit la fuite avec un couinement suraigu, abandonnant son butin derrière lui. Mais ses courtes pattes et ses petits sauts ne lui permettaient pas de tenir la distance face aux larges foulées de la créature qui ne tarda pas à le distancer, disparaissant au détour d'un bâtiment et laissant sa proie haletante et décontenancée.

(Pourtant, elle aurait pu l'attraper si elle l'avait voulu. Une enjambée, et elle n'aurait eu qu'à se baisser pour planter ses dents dans sa chair et la déchirer, sentir le sang de la vermine couler sur sa langue, s'en délecter... Mais il était tellement plus avantageux d'agir ainsi avec un être capable de supplier, conscient du sort qui l'attendait au-delà de la mort...)

Un sourire étira les coins de sa bouche sans lèvres d'une oreille à l'autre alors qu'il poursuivait sa course dans les rues désertes et minutieusement choisies. Peu à peu, la cadence de ses pas ralentit, passant d'un galop allongé à une allure plus modérée, pour finalement s'interrompre devant un nouvel immeuble, plus proche des quartiers animés. Scrutant les environs une dernière fois, l'être qui se déplaçait jusqu'alors sur ses quatre membres se dressa de toute sa hauteur sur ses longues pattes arrières. Son crâne sur lequel s'emboîtaient deux cornes en spirales semblables à celles d'un bélier atteignait désormais la hauteur des lampadaires alignés sur le trottoir. Ses mains pourvues de cinq doigts griffus agrippèrent le premier palier de l'escalier de secours qui serpentait le long de la façade, et d'une simple impulsion, il hissa son corps filiforme.

Guidé par ses gestes agiles mais convulsifs, il se rapprocha de la seule fenêtre ouverte dont il ne détacha plus le regard, comme une araignée progressant sur sa toile vers une mouche fraîchement capturée. Son ascension était d'une rare discrétion. Aucun bruit, aucune secousse. Rien qui soit susceptible d'alerter les occupants de l'édifice. De toute manière, jamais des êtres aussi influençables n'auraient compris ce qu'ils voyaient, même avec leur nez charnu collé contre la vitre.

Encore quelques impulsions, et la créature put enfin s'accrocher au bord de l'étroite ouverture, juste assez large pour laisser passer un humain menu.

En un éclair, son coude se plia avec un craquement sinistre, rabattant son bras ballant contre son flanc décharné. Le dos de sa main désormais plaqué contre son omoplate, il ne montra aucun signe de douleur, et continua à rétracter son corps sur lui-même dans une succession de sons écœurants. Ployant sa nuque dans un angle inquiétant, il engagea son impressionnante paire de cornes dans le passage. Sa tête passa ensuite, puis ses épaules presque jointes l'une à l'autre. Son bassin et ses jambes élancées fermèrent la marche.

Ses longs pieds se posèrent sur un lit vide mais spacieux, duquel il descendit pour atterrir sur un tapis rond et pelucheux. Une nouvelle série de craquements résonna dans la petite pièce pendant que le monstre remettait son corps en place, pliant et dépliant ses doigts crochus, remuant ses articulations. La faible hauteur sous plafond l'obligeait malgré tout à courber l'échine pour se tenir debout.

Sitôt reformée, la bête se raidit. Ses deux fentes en guise de narines frémirent, quêtant une effluve. Surplombé par une grosse arcade sans sourcil, son œil unique au centre duquel trônait un iris blanc cerclé de violet, gros comme un cœur, balaya la pièce avec froideur. Des murs tapissés de posters au mobilier banal mais couvert d'autocollants colorés, aucun recoin n'échappait à son regard méprisant.

Reposant à nouveau ses paumes sur le sol, il se précipita sur l'armoire qu'il s'appliqua à renifler de long en large, du dessus aux pieds, ouvrant les portes et fouillant les tiroirs en éparpillant parfois leur contenu sur le parquet. Il s'attaqua ensuite aux tables de chevet dont émanaient des senteurs doucereuses, et huma les sachets de sucreries vides qui saturaient le tiroir dans lequel il avait fourré son visage. Sa joue creuse appuyée contre les lattes, il termina sa fouille par le dessous du lit, dont il ne se détourna qu'après l'avoir inspecté jusqu'au dernier mouton de poussière.

Son œil sillonna la pièce une dernière fois, traquant un mouvement, un détail, n'importe quoi qui trahirait la présence d'un indésirable, ou pire, d'une menace...

Mais il fallait se rendre à l'évidence : aucune odeur douteuse, aucun son de l'autre côté de la porte... L'habitation était déserte, exception faite de lui. Lui et son malheureux hôte...

Une expression satisfaite remplaça sa mine dédaigneuse. Debout dos au lit, les bras pendants, le monstre abaissa lentement sa tête, puis sa paupière, laquelle se fondit avec la peau de son front. Ses cornes suivirent, se rétractant dans son crâne pour laisser place à un amas de cheveux châtain. Deux jambes charnues remplacèrent ses pattes après que ses pieds se soient raccourcis, suivies par ses bras qui se couvrirent de muscles et de peau rosée.

Une partie après l'autre, l'ombre projetée sur les cloisons par la lumière de la lune se métamorphosa en une silhouette humaine robuste qui, une fois transformée, redressa la tête, dévoilant un nez concave et deux yeux clos surmontés par d'épais sourcils bruns. Quelques secondes s'écoulèrent sans un bruit avant que lesdits yeux ne s'écarquillent subitement, exhibant deux iris bleus. La bouche du jeune homme s'ouvrit toute grande lorsque celui-ci prit l'inspiration profonde et brusque d'un naufragé qui émerge sa tête hors de l'eau. Sitôt remplis, ses poumons se vidèrent, expulsant un soupir plaintif. Ses yeux se révulsèrent, et l'hôte s'écroula sur les draps multicolores, plongé dans un sommeil apaisé.

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