Chapitre 2

Màu nền
Font chữ
Font size
Chiều cao dòng

Quand Éric ouvrit les yeux, il les referma aussitôt en lâchant un râle. Son crâne lui donnait l'impression d'avoir été fracassé à coups de marteau, et ses muscles changés en ciment. (Se lever après une escapade nocturne était toujours un supplice, mais un supplice nécessaire. Oui, ça en valait largement la peine, se répétait-il avec conviction chaque fois qu'il lui fallait sombrer le temps d'une nuit.)

Ses membres se raidirent sous l'effet des courbatures lors de ses tentatives maladroites de s'asseoir au bord de son lit avec toute l'élégance d'un culbuto. Il avait intérêt à ce que ses vertiges disparaissent d'ici peu s'il voulait arriver en forme au service de ce soir. Son ventre émit un gargouillis de protestation à la seconde où le restaurant effleura ses pensées, et les tiroirs grands ouverts de la table de chevet remplis d'emballages vides eurent tout-à-coup l'air de le narguer. La bouche tordue par un mélange d'épuisement et de dépit, il essaya tant bien que mal de tenir sur ses pieds avant de se diriger vers sa table de chevet en titubant. Ses doigts se refermèrent sur son portable, et un juron lui échappa lorsque l'appareil afficha quinze heures.

Putain d'merde, t'as vraiment capoté sur c'coup-là...

Furieux contre lui-même, Éric reposa le téléphone sur le lit en secouant la tête. Avec une plainte lasse, il laissa son regard arpenter la pièce. Le désordre qui y régnait lui arracha une exclamation exaspérée.

Chaque geste s'accompagnant d'un grincement de dents, il ramassa un à un tous les habits éparpillés au sol avant de les fourrer dans son armoire. A quoi bon ranger ce qui finira étalé aux quatre coins de la chambre dès la semaine prochaine ?

Face à la porte, ses vêtements dans les bras, Éric posa une main tressaillante sur la poignée. Les paupières mi-closes, la mâchoire crispée, il la poussa brutalement, et une vague d'allégresse le traversa : par miracle, le reste de l'appartement était intact. Pas de placards vidés, pas de canapé retourné, pas de sachets de nourriture éventrés ou de vaisselle brisée... Éric poussa un long et bruyant soupir, d'humeur plus légère. Son téléphone se mit alors à vibrer. La vue du nom et du visage qui apparurent à l'écran fit bondir son cœur de joie.

- Jad ! s'exclama-t-il sans laisser le temps à son meilleur ami de placer un mot. J'suis content de t'entendre, mon grand ! T'as eu mon message, hier soir ?

- Hein ? Oui, oui je l'ai eu, mais où est-ce que tu étais ? J'ai essayé de t'appeler, je me suis fait du souci...

Son intonation débordait de sollicitude. Les yeux d'Éric se teintèrent d'attendrissement.

- Tu sais qu'il faut pas se faire de souci pour moi. J'étais claqué, j'ai dormi comme une bûche ! Tu me connais ! conclut-il avec un haussement d'épaule spontané.

Après un bref silence, Jad soupira au bout du fil.

- Je suis en bas de chez toi, déclara finalement celui-ci, un sourire dans la voix. Dépêche-toi, les beignets vont refroidi-

- J'arrive, je cours, je vole !

Raccrochant sur-le-champ, Éric se précipita dans sa salle de bain. Dans une succession de mouvements saccadés, il enfila son boxer, qu'un pantalon de ville noir vint couvrir. Il fourra en hâte ses bras dans les manches d'une chemise assortie, et termina en attachant péniblement les boutons dorés, grimaçant.

Sautant dans ses chaussures, une veste sur les épaules, il s'attela au nouage de ses lacets lorsque son portable émit une seconde vibration, plus brève. Le logo dégradé de son réseau social préféré figurait dans la barre des notifications. Un nouveau message privé.

Le sang d'Éric se mit à bouillir. Les dents serrées, il ouvrit le message. Un grondement rauque retentit quand ses yeux se posèrent sur les quelques lignes envoyées par un compte anonyme.

« Dégénérer

Va te faire soigner, laisse les enfants tranquille

On va te purger sale déviant »

Un filet vermeil coula sur le menton volontaire du jeune homme, qui avait planté dans sa lèvre une paire de canines anormalement pointues, incapable de se détourner des émoticônes figurant une goutte d'eau et un serpent. Les symboles de leur culte, auxquels s'ajoutaient des intentions violentes symbolisées par un pistolet tourné vers un drapeau arc-en-ciel.

Immonde petit lâche... Planqué derrière ton culte d'attardés...

La respiration sifflante, les traits de son visage déformés par une fureur abjecte, Éric avait sans s'en rendre compte crispé ses doigts tremblants autour du téléphone, comme pour étrangler son interlocuteur à distance. C'était la troisième fois de la semaine qu'on l'insultait en ligne, caché derrière l'anonymat et une doctrine.

Éric cilla. Le bleu de ses iris avait laissé place à un blanc cerné d'un violet sombre. Ses cheveux se hérissèrent sur sa nuque alors qu'une présence familière émergeait des fins fonds de son esprit pour examiner l'écran à travers ses yeux.

Donne-lui ton adresse. Il aura ce qu'il est venu chercher.

Un rire narquois résonna dans son crâne comme un écho. Un tic nerveux agita le coin de sa bouche.

Qu'est-ce qui te fait hésiter ? Je me ferai un plaisir de le corriger pour toi, comme toujours.

Éric prit une profonde inspiration, qu'il expulsa aussitôt sans que sa colère soit redescendue d'un cran. Ses crises de rage étaient des incendies dans une forêt sèche.

Essuyant son menton d'un geste rageur, il effleura sa lèvre du bout de l'index, juste à temps pour sentir sa plaie se refermer. Un nouveau clignement de paupières, et ses iris avaient retrouvé leur couleur azurée.

- Pas le temps. Une autre fois..., marmonna-t-il en s'engouffrant dans l'embrasure de sa porte d'entrée, qu'il claqua derrière lui sans la verrouiller.

En lui, l'entité émit un grognement nonchalant.

Le temps de descendre les trois étages de son immeuble ne suffit pas à l'apaiser, et lorsqu'il pénétra dans le hall, il faillit manquer Jad. Emmitouflé dans un épais manteau et un bonnet de laine posé sur ses cheveux bruns coupés à ras, il avait enroulé une écharpe autour de son cou massif, et des sacs en papier pendaient à ses bras.

- Eh bien, on s'est levé du mauvais pied ? murmura-t-il gentiment sans une trace de sarcasme.

Le pouls d'Éric chuta au moment où la voix de son ami lui caressa les oreilles avec la douceur d'un pot de miel. Son regard pétillait comme un bonbon, et un sourire chaleureux illuminait son visage en diamant à moitié couvert par une pilosité faciale naissante.

La bienveillance incarnée. Voilà le déluge qu'il fallait à son incendie.

- J'suis désolé, mon grand, répondit Éric en ponctuant son propos d'une accolade. J'étais un peu... lunatique, ce matin.

Les messages d'insultes retentirent dans sa tête, et sa bonne humeur retomba comme un soufflé manqué. Les yeux émeraude de Jad décrivirent une série d'allers-retours entre sa mine contrariée et le téléphone qu'il avait encore dans la main.

L'instant suivant, le visage d'Éric se retrouva plaqué contre une imposante poitrine. Inerte, les bras ballants, il laissa volontiers Jad couvrir le dessus de son crâne et ses omoplates de petites tapes fraternelles.

- Tu tiens encore compte de ces idioties ?

De quoi se mêle-t-il ?

Son ton était à la fois tendre et sérieux. Un grognement étouffé lui tint lieu de réponse.

- Et...tu vas encore chercher à te battre avec eux ?

Les lèvres pincées, Éric appuya son menton contre le torse de Jad, dont le sourire avait laissé place à une expression inquiète.

- Tu sais ce que je pense de ta manie à toujours sauter sur les gens qui te regardent de travers... Un jour, tu vas être blessé.

Une moue coupable prit forme sur le visage d'Éric qui recula, les mains posées sur les larges épaules de Jad qu'il gratifia d'une pression affectueuse.

- T'inquiète pas pour moi. Rien ne peut m'arriver.

- Un jour, tu tomberas sur plus fort que toi. Je ne tiens pas à voir ça...

Bien-sûr qu'il ne le veut pas. Parce qu'il est lâche. Le moment venu, il ne t'aidera pas.

Et t'as bien raison, parce que ça sera un massacre ! Personne n'est plus fort que moi !

Son assurance décrocha à Jad un sourire hésitant.

- Un de ces jours, il faudra vraiment que tu m'expliques où tu trouves ton courage. Mais en attendant...

Il lui tendit ses sacs avec un sourire complice, et les yeux d'Éric brillèrent de convoitise. Les odeurs qui s'en dégageaient le faisaient déjà saliver.

- Le dîner ne va pas se manger tout seul !

***

- Rick, tout-de-même... Un septième beignet... Tu n'as pas peur d'être malade ?

- F'est toi qui ne manve pas affez ! rétorqua le concerné en secouant sa pâtisserie à moitié mangée d'un air réprobateur, avant d'avaler sa bouchée. Regarde-toi, maigrichon !

Jad baissa les yeux sur son buste musculeux que son pull en grosses mailles n'arrivait pas à camoufler. Les deux amis se dévisagèrent une poignée de secondes avant d'éclater de rire.

Assis sur un banc, Éric avait eu le temps de dévorer trois hamburgers d'une taille impressionnante et un plein sachet de beignets géants sans se sentir rassasié. C'était l'inconvénient à devoir manger pour deux.

Jad, lui, venait tout juste d'avaler sa dernière bouchée de chili noyé dans la sauce tabasco. Même après les années, Éric restait impressionné par sa résistance aux épices les plus fortes, et sa tendance à jeter son dévolu sur les plats classés à trois piments ou plus sur la carte.

- Et tu ne pratiques vraiment aucun sport ? Pas un seul ? Tu peux me le dire, tu sais.

- J'ai juste un métabolisme très rapide, rit Éric en essuyant le sucre autour de sa bouche.

- Je t'aurais bien vu inscrit à des cours de free fight avec ton tempérament. Ça expliquerait que tu ne te sois toujours pas retrouvé aux urgences.

Jad avait retrouvé son attitude sévère. Éric leva les yeux au ciel.

- Eh, t'étais bien content que je sois là pour fracasser ce type l'autre jour ! Il était à deux doigts de te frapper !

Rappelle-moi quel intérêt tu vois à t'encombrer d'un ami lâche, ingrat et porté sur le jugement ?

Je n'étais pas content... Et c'est toi qui avait insisté pour qu'on se tienne la main. Sérieusement Rick, nous ne sommes même pas ensemble, quel intérêt à part provoquer ce genre de conflits ?

- C'est juste pour faire le tri, rétorqua-t-il en haussant les épaules. Et quand ils sortent de l'hosto, ils font passer le mot aux autres. A force, ils nous ficheront la paix.

Le colosse se massa les paupières en poussant un long soupir, résigné.

- Si tu le dis..., souffla-t-il en reportant son regard sur le petit square où ils s'étaient installés. A quelle heure prend ton service ? On pourrait rester ici en attendant.

- Pourquoi pas. Attends... Non, il faut qu'on bouge, grogna Éric, son sourire remplacé par une expression hostile. Pourquoi tu nous a foutus juste en face de ça ?

Jad se tourna dans la direction qu'il venait de désigner d'un coup de tête méprisant. En partie masquée derrière la cime des arbres, une tour en spirale se dressait vers le ciel nuageux, vue duquel elle devait avoir l'air d'une coquille d'escargot géante. Un gigantesque losange de verre trônait au sommet. Sa façade était recouverte d'un mortier beige, parsemé de motifs floraux bleus entre lesquels se faufilaient des serpents en lapis-lazuli. D'immenses fresques figuraient hommes, femmes et enfants, les bras levés avec reconnaissance vers de grands êtres au buste humain et à la queue reptilienne, certains dotés d'une paire d'ailes. Ceux qui en étaient dépourvus étaient mêlés à la foule, trahis par les serpents qui leur sortait de la bouche et des oreilles, parfois même d'une orbite.

- Je me suis juste dit que c'était un joli coin, murmura Jad avec un haussement d'épaules timide. Les ecclésias sont belles, non ?

- Je me fous qu'elles soient belles ! C'est les gens à l'intérieur que j'veux pas voir !

La vue d'une ecclésia le faisait toujours grincer des dents. Les investissements de la municipalité et de l'Etat dans ces édifices étaient à son sens une pure aberration. Sous prétexte qu'ils représentaient une forte majorité, les fidèles qui en disposaient se croyaient tout permis.

- Viens, on se taille, cracha-t-il en sautant du banc.

- Attends ! On est samedi, et il est seize heures, ils doivent être en train de sortir...

- Tant mieux ! s'écria-t-il en continuant sa route d'un pas décidé, Jad sur les talons.

Le sang battait à ses oreilles.

Alors comme ça, ces minables veulent me purger ?

Il allait les purger avant.

- Je peux compter sur toi ?

- Éric, ce n'est pas raisonnable...

Naturellement. T'ai-je jamais fait défaut ?

Un rire sans joie secoua ses épaules lorsqu'ils quittèrent le square pour entrer dans une avenue, face au monument. Les portes en ogive étaient grandes ouvertes, et une foule conséquente s'amassait sur le perron, se déversant dans la rue, certains encore enveloppés dans des toges. Ses doigts enserrèrent ceux de Jad sans lui laisser le temps de réagir.

- Éric, arrête, laisse-les tranquilles.. S'il-te-plaît...

- Ils auraient dû y penser avant, gronda l'intéressé, l'œil flamboyant.

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen2U.Pro