Je ne pensais plus qu'après autant de temps, je reverrais à nouveau le néant. Cet endroit seulement rempli de noir qui m'entoure, et où je suis complètement seul. C'est ça, le but du vide, après tout. Nous faire nous sentir seul, sans personne pour nous aider. Et maintenant, lui aussi je m'en suis rappelé, visiblement. Mais je ne sais quand même pas ce que je fais là, qu'est-ce que j'attends au juste ? À chaque fois que je me suis retrouvé ici c'était juste avant de revoir des personnes qui étaient censées être mortes, ou bien c'était avant un cauchemar. Dans tous les cas, ce néant n'annonce rien de bon, car je sais que c'est seulement le calme avant la tempête.

Quand il disparaîtra, je verrai des choses de mon passé, comme si je les vivais à nouveau. Ou bien je confronterai directement mon passé. Dans tous les cas, ça ne sera pas agréable. Et à chaque fois je sais que j'aurai peur, que face à ces événements, je ne pourrai rien faire, à part subir. Je ne pourrai rien faire, et ça a toujours été comme ça. Ressentir de la douleur, c'est ce que j'étais censé faire depuis le début. Et maintenant qu'elle est revenue après avoir disparu si longtemps, c'est encore plus dur à supporter.

Rien que de penser à ça me donne l'impression de devenir fou, comme à chaque fois. Ma respiration s'accélère automatiquement, sans que je ne puisse la contrôler. Et quand je me dis que même après tout ce temps je ne suis toujours pas mort, que j'ai vu tout le monde mourir alors que moi, je suis le seul qui reste, ça me redonne des envies de disparaître. J'en ai assez de vivre, je veux que ça s'arrête définitivement. Alors, d'un coup, je suis tombé à genoux, toujours avec ce vide autour de moi, et je regarde le sol comme si j'avais vu un fantôme.

— Pourquoi tu ne viens pas me chercher ?! Arrête de me narguer, bon sang..!

Et quand je crie ces mots, je crois qu'ils sont destinés envers la mort, celle qui n'a jamais voulu m'emmener avec elle, alors que moi je l'attends depuis des années. Même que, quand je pensais qu'elle allait enfin me tuer, c'était entièrement faux. Elle aime sûrement me voir comme ça, mais moi j'en ai marre de jouer. Je pense que depuis le temps, on pourrait arrêter de jouer nos rôles.

Puis soudain, comme à chaque fois, une lumière blanche m'aveugle. Je crois que je sais ce qui va se passer ensuite, mais je n'ai pas envie d'affronter mon passé pour la énième fois. Lui aussi, il serait temps qu'il me laisse tranquille.

Je suis toujours à genoux, pendant que, comme toujours, le décor devient blanc. Maintenant j'attends de voir qui va venir me rendre visite. Et je ne m'attendais pas à ce que ce soit de nouveau lui. Pourquoi lui ? Et pourquoi maintenant ? Maintenant que j'y pense, je n'avais pas une question importante dont je devais en connaître la réponse ? Une question qui me libérerait enfin..

En revoyant à nouveau mon père, je me suis immédiatement relevé. J'ai besoin de lui poser une question, je le sais. Il y a quelque chose d'important que je dois connaître, c'est pour ça qu'il est là. Sauf que quand je voulais m'avancer vers lui, j'ai à peine le temps de faire quelques pas que d'un coup, ma vue est à nouveau plongée dans une lumière blanche. Mais il n'y a pas qu'elle, j'entends aussi les souvenirs d'une conversation. Une conversation entre mon père et ma mère.

"— Tu es sûre que c'est une bonne idée ? Tu sais bien comment ça risque de finir...

— Je le sais bien. Mais je suis obligée de le faire et, de toute façon, tout va bien se passer.

— Mais ça risque d'être difficile.

— Même si c'est difficile, on y arrivera, je le sais."

Au début, je n'ai pas vraiment compris ce que ça voulait dire, puis d'un coup, c'est venu comme une évidence. Au moment où j'ai compris quel était le sens de cette conversation, ma vue est revenue. Comme pour me montrer que maintenant, je pourrais affronter mon père en face, avec ce que je viens de découvrir.

Parce que maintenant, je le regarde avec un air sûrement indigné sur le visage. Tandis que lui, il reste parfaitement impassible pour le moment, et il est toujours et encore resté dans la dernière apparence que j'avais vu de lui. Celle du gentil militaire qui va partir en mission pour sauver tout le monde. Ça, je sais déjà depuis un moment que c'était faux, mais alors me dire que c'était faux à ce point là.. je n'aurais pas imaginé.

— Tu savais tout depuis le début, pas vrai ?

Même si j'ai l'air calme, je pense qu'on sent qu'il y a une pointe de colère dans ma voix. Bien sûr que je suis en colère, d'ailleurs j'ai l'impression que j'ai aussi retrouvé cette haine que j'avais pour le monde entier. Ce n'est jamais réellement parti, comme toutes les autres choses. Mais si là, je suis de nouveau énervé contre lui, c'est parce que je viens de découvrir quelque chose que je n'aurais jamais imaginé.

— Tu savais ce qui allait se passer, ce qu'elle allait me faire, et pourtant tu n'as quand même rien fait pour empêcher ça.

J'ai l'impression d'être choqué par cette révélation. Il savait tout. Lui et ma mère savaient très bien comment j'allais vivre, ce qu'elle comptait faire pour mon éducation. Il aurait pu m'éviter ça, j'aurais pu être heureux, mais il n'a rien fait. Il n'a rien fait pour m'aider. Avant même de naître, il m'avait déjà abandonné. J'ai l'impression d'être trahi, même si je savais déjà depuis un moment que son statut de "héros" était faux. Je pensais juste que c'était un père trop débordé par son travail, qui faisait de son mieux pour m'aider à mieux vivre, alors qu'en fait, s'il avait vraiment voulu m'aider, il aurait empêché ma mère de faire tout ça. En fait, ils sont tous les deux coupables.

Et maintenant, je me remets à parler comme avant, comme quand j'étais encore un enfant, ou même plus tard quand j'étais encore naïf. Mais ce qui m'a rendu comme ça, c'était avant tout à cause de mon enfance justement... Je n'arrive plus à savoir ce que je dois penser. Je suis perdu.

— Il y a plein de choses que tu ne sais pas encore, Stefano.

Je me rappelle que, la première fois que je l'avais revu dans une sorte d'hallucination, il m'avait dit que j'avais encore plein de choses à découvrir. Et visiblement, je suis encore loin de toutes les avoir découverte. J'ai l'impression que ma vie est une chasse au trésor interminable. Mais pour le coup, il y a plusieurs trésors.

— Ah oui ? Et au lieu de me dire ça, tu ne veux pas plutôt me dire quelles sont ces choses ?

Je suis toujours énervé, mais lui, il reste calme.

— Tu devais tout découvrir seul.. Pour que tu te rendes compte de la vérité.

— Et quelle vérité ? Ça fait des années que j'essaie de la trouver, en commençant par me demander quel est le réel sens de ma vie.

Cette vérité, la raison de toutes ces souffrances, je ne l'ai jamais vu. On ne m'a jamais expliqué pourquoi je devais autant souffrir, si c'était nécessaire. On ne s'est jamais justifié, jamais excusé envers moi. Alors que tout ce que je voulais, c'était qu'on me considère enfin comme un être humain qui a besoin d'être rassuré, et d'être aimé. La raison de tout ça, je l'ai cherché et j'ai pensé l'avoir trouvé. Et maintenant je découvre qu'en fait, il y encore d'autres raisons derrière ça. Je ne sais pas si je la découvrirais un jour, la vérité.

Ou peut-être que la vérité sur le but de ma vie, il n'y en a pas.

— Tu as fait trop d'erreurs dans ta vie.. mais ce n'était pas à cause de toi. Il suffisait juste que les événements se soient déroulés autrement.

Quand il a dit ça, il a en même temps légèrement secoué sa tête de gauche à droite, tout en regardant le paysage qui s'offrait à lui, avec un air rêveur. Il connaît des choses que moi je ne connais pas, et il doit me les dire. Au final, qui est vraiment le fautif ? Est-ce vraiment juste la vie, ou quelqu'un en particulier ? Et pourquoi pendant toutes ces années, on ne m'avait rien dit ?

— Tu as raison, j'aurais pu t'empêcher tout ça. Mais à l'époque, ta mère et moi étions tellement sûrs qu'on arriverait à gérer tout ça.. Sauf que nous aussi, on s'est trompés.

Ils pensaient quoi ? Qu'ils arriveraient à contrôler le fait que leur enfant deviendrait un objet, et qu'en plus je vivrais bien cette situation, pendant que mon père essayerait de faire du mieux possible alors qu'il n'était presque jamais là ? Pourquoi voulaient-ils faire ça, au juste ? Quel était le but ? Derrière ça aussi, je sens qu'il y a quelque chose que je connais toujours pas.

Après un long moment sans rien se dire, et a avoir seulement regardé mon père comme s'il s'agissait d'un étranger, je pose enfin une question qui m'était venue en tête, il y a un moment.

— Je ne comprends toujours pas. Pourquoi vous vouliez que je vive comme ça alors que vous étiez au courant que ça n'apporterait rien de bon à personne ?

Je me rappelle avoir versé tant de larmes durant cette période. Je me suis senti si seul, abandonné, différent des autres, qui eux avaient une famille aimante. Je pensais que ma mère me détestait et que mon père allait me sauver. C'était lui le héros, il devait m'aider. Je ne comprends pas la raison pour laquelle on ferait souffrir son propre fils.

— Je ne comprends juste pas pourquoi j'ai dû vivre comme ça, il n'y avait aucune raison à ça pourtant, n'est-ce pas..?

Je ne suis pas convaincu par mes propres paroles. J'ai besoin qu'il me rassure, qu'il me dise qu'il n'y avait aucune raison à toute cette souffrance. Je veux qu'il m'explique tout en détail. J'ai besoin de savoir, à ce stade là je mérite de savoir. On ne peut plus m'ignorer maintenant, j'ai besoin qu'on me voit comme une personne ayant besoin d'amour, comme tout le monde.

— Non.. Ce n'était pas toi qui était visé... Tu n'es qu'une victime de tout ça..

"Tu n'es qu'une victime de tout ça". Ça me rappelle quelque chose, ou quelqu'un. Quelqu'un qui a su voir qu'en effet, j'étais une victime. Et comme toutes les victimes, je ne méritais pas ça. J'ai sûrement dû me trouver au mauvais endroit au mauvais moment, comme toujours. Je n'étais pas ciblé en particulier, mais alors pourquoi je suis une victime ? Qu'est-ce qui a bien pu se produire avant même ma naissance ? Il y a trop de secrets qui entourent ma famille, et je ne les ai jamais connus.

Mais malgré tout, vu la façon dont mon père a dit ces phrases, c'est qu'il devait y avoir bien plus qu'une simple histoire de vouloir un fils parfait. L'histoire de la mère impassible qui voulait un enfant à son image, avec un père qui essaie de sauver la situation et d'aider l'enfant en question, ce n'était qu'un mensonge. Cette histoire était fausse. Et malheureusement, la vraie avait été déformée par des malentendus assez destructeurs. Si ce n'était pas moi la source de tous ces problèmes, ou mes parents, alors qui était la source ?

— Tu n'aurais jamais pu découvrir toute la vérité tout seul, de toute façon...

— Mais je pouvais quand même découvrir que j'allais devenir un monstre. C'est ce que tu voulais que je découvre, non ? Est-ce que tu voulais que je continue à souffrir ?

J'ai besoin de réponses. Je veux qu'on m'explique toute l'histoire. Elle m'a l'air si injuste maintenant, et pas seulement envers moi.

— Dis-moi, quand tu m'as empêché de mourir, qu'est-ce que tu voulais que j'accomplisse ? Si tu savais tout, tu devais aussi savoir que j'allais continuer à en souffrir, de cette situation.

Je ne comprends pas pourquoi ils n'ont pas empêché à un innocent de connaître un cycle de douleur éternel.

— Je veux savoir maintenant, quel est le but de tout ça ? Est-ce que j'ai encore une raison de vivre ?

Je n'ai pas arrêté de parler depuis tout à l'heure, ce qui fait que mon père a l'air débordé par la situation. Il n'arrive plus à gérer, comme quand il pensait qu'il arriverait à s'occuper d'un enfant triste qui avait besoin d'affection. Et quand je pense à toute cette histoire, j'ai l'impression qu'il y a tellement plus derrière tout ça. Alors pourquoi personne ne voulait me dire la vérité ? Comme si ma vie était remplie de mensonges, depuis le début.

— C'est ma dernière question, je veux juste connaître la vérité, s'il te plaît.

À la fin de ma phrase, ma voix est devenue plus tremblante, comme si j'avais envie de pleurer. À la limite d'un ton suppliant. Parce que maintenant, j'ai la sensation d'atteindre mes limites. Je n'arriverais pas à vivre plus longtemps en me disant que je continuerai à souffrir pour rien. Je veux juste vivre normalement, comme je l'ai toujours voulu.

Encore une fois, il regarde dans le vide, comme si depuis avant il était déconnecté. Il cherche sûrement la meilleure réponse. Qu'est-ce qu'il devrait répondre face à son fils qui avait toujours vu en lui un soutien moral ? Et qui, par la suite, est mort au combat, tel un héros, laissant ce même fils seul avec son désespoir. Parce que ce père ne pouvait sûrement pas prévoir que la situation serait si compliquée, et que la mère n'arrangerait pas les choses. Ou bien il le savait, ça aussi. Il sait encore plein de choses.

— Je sais que tu me considérais comme un héros, et que tu m'admirais. Et je pense qu'avec le temps tu as dû te rendre compte que tu n'aurais pas dû.

Il y a un silence, comme si je n'osais plus parler. Visiblement, ils savaient tous tout sur moi, et moi j'étais le dernier à savoir tout ça. Comme toujours, je suis le dernier à me rendre compte de la réalité. Peut-être parce que c'est moi-même qui avait décidé de vivre dans un mensonge toute ma vie, et d'éviter de confronter la vérité. C'est si facile de rêver, mais le plus dur, c'est de se réveiller.

— On portait tous un masque, Stefano. Et moi je n'ai jamais été un héros. Je n'ai même pas réussi à sauver ma propre famille.

Ce n'est que maintenant que je me dis que lui aussi avait souffert de cette situation. Mais j'étais tellement énervé que je ne pouvais pas le remarquer. Mais à l'époque, je n'étais qu'un enfant qui avait besoin d'aide. Je pensais être le seul qui souffrait, qui devait être maudit, je n'avais pas le temps de m'intéresser à la propre douleur de mes parents. Ce n'est que maintenant que je viens de la découvrir.

— C'était une erreur de croire qu'après tout ce que ta mère avait vécu, on pourrait élever sainement un enfant. Surtout que moi, je n'étais presque jamais là pour m'occuper de vous.

Comment ça ? Qu'est-ce qu'elle avait vécu..? Il ne peut pas me dire la vérité une bonne fois pour toute, au lieu de me faire mourir d'envie de la connaître ? Seulement, en disant tout ça, mon père a l'air tellement.. choqué. Comme s'il venait lui-même d'apprendre de gros secrets sur sa famille. Pourtant il sait tout, et ce doit être sa culpabilité qui lui fait ça. Sa culpabilité...

— Ce n'est pas de ta faute, Stefano. Les erreurs des gens avant toi ont créé tout ça. Et j'y ai moi-même contribué..

Il se sent coupable. Mais si à chaque fois on doit rejeter la faute sur quelqu'un d'autre, on n'y arrivera jamais. Je ne sais toujours pas quoi penser, parce que même si j'ai découvert une partie de la vérité, tout reste quand même flou.

— Je suis désolé, tu sais. Je n'ai jamais pu te le dire, mais maintenant, c'est toi qui souffre le plus de tout ça. Tu as réussi à grandir, mais on sait qu'au fond de toi, tu as encore gardé le toi enfant. Il n'a jamais réussi à partir, et c'est normal.

C'est lui-même, mon propre père, qui vient de me dire qu'après toutes ces années, je suis encore habité par mon âme d'enfant traumatisé. Je le savais, en fait, mais me dire que c'était bel et bien vrai, et que je serai toujours hanté par mon passé, c'est troublant. Maintenant je ne pourrai plus le nier, je devrai vivre pour le reste de ma vie avec mon propre moi qui agit comme un fantôme. Un fantôme prêt à me posséder à tout moment. J'ai toujours su que mon démon le plus fort, c'était moi. Mais je ne sais pas comment m'en débarrasser.

— Si je dois t'éviter encore plus de souffrance.. Tu ne dois pas tout connaître maintenant, ce serait inutile.

Pourquoi ? Parce que ce serait encore pire pour la suite ? Je veux savoir ce qui a poussé mes parents à faire ce choix. Je veux aussi connaître la provenance de leur propre douleur. Il y a trop de gens qui souffrent dans cette histoire, ça doit s'arrêter.

— Qu'est.. Qu'est-ce que je suis censé faire alors, maintenant ?

J'ai tout de même l'impression d'avoir une idée, une réponse à cette question. Mais je n'ose pas y penser, de toute façon je n'aurais pas le courage de la mettre à exécution. Alors, je veux juste voir si mon père va confirmer cette idée.

— Règle d'abord tous les conflits que tu as avec toi-même, ensuite tu pourras nous rejoindre.

Je crois qu'en effet, il l'a confirmé. Alors c'est bien ça, la seule et unique solution. La meilleure solution, pour une fois. Après tout, je ne peux plus vivre comme ça, j'en ai assez de la douleur. Et puis tout de même, j'ai toujours voulu mourir, alors quand ça arrivera vraiment, je pourrai être avec lui pour toujours. Et aussi avec elle, par la même occasion, et j'espère qu'on pourra enfin régler toute cette histoire définitivement.

— Tu t'es bien battu Stefano, maintenant je pense que tu mérites d'enfin te reposer.

J'ai tout de même tué des innocentes. Je reste un meurtrier, un monstre, pour ça je n'ai aucune excuse. Alors, maintenant c'est sûr que ma mort sera bénéfique pour tout le monde. Tout le monde sera libéré.

— Je me suis même peut-être trop bien battu. Puisque je n'ai jamais pu mourir, j'ai emporté d'autres gens à ma place, pour qu'on tombe ensemble. Je ne voulais pas être le seul à sombrer, tu comprends, papa ?

À nouveau, ma voix tout comme mon visage ont eu l'air de perdre leurs émotions. J'ai l'impression d'être vide, soudainement. Et quand j'ai dit cette dernière phrase, quand je l'ai de nouveau appelé par ce nom, après tant d'années, j'ai eu une sorte d'envie de pleurer, à nouveau. Comme si j'étais ému, ou que toute cette tristesse m'était revenue en pleine tête, d'un coup. C'est si dur de vivre avec ce poids de la douleur sur soi, tous les jours, qu'à force je n'ai même plus envie de résister. Tout sera bientôt fini, je le sais, je n'ai plus à m'en inquiéter.

Et ce père en question, il me regarde tristement, et aussi avec nostalgie, comme s'il revoyait son fils innocent d'autrefois. Celui qui encaissait en silence et qui ne se vengait pas encore sur les autres. Celui à qui on aurait pu tout dire et qui aurait pu devenir quelqu'un d'autre, quelqu'un de bien. Celui qui n'aurait jamais dû naître, tout simplement.

C'est pour ça que lentement, il s'approche de moi. Je n'ai pas vraiment le temps de réfléchir, ou de comprendre ce qu'il compte faire, parce que, arrivé à une certaine distance de moi, il me prend dans ses bras. Il m'enlace, tout simplement, comme n'importe quel père l'aurait fait, alors que pour moi, ce geste est si exceptionnel. On ne m'avait jamais montré de marques d'affections comme ça, ou bien, elles étaient tellement rares que je les avais oubliées. Mais celles là, ce n'était pas volontaire si je les avais oubliées.

Malgré tout, je ne réagis même pas, je reste juste là. Je n'arrive même pas à rendre l'étreinte. Quel fils indigne je fais.

— Tu sais que tu comptais énormément pour moi, et même pour ta mère. Ça fait trop longtemps qu'on rêve de pouvoir apaiser les tensions. Alors, même si ça prend du temps, on sera là pour t'attendre, Stefano. Je suis fier de toi, tu es fort, comme ton père.

Il me répétait tout le temps d'être fort comme lui. C'était sûrement pour me redonner confiance et me dire que comme mon père était un héros, je pourrais devenir comme lui. Sauf qu'il savait que c'était faux. Mais malgré tout, il voulait juste m'aider. J'espère qu'on réussira enfin à régler toute cette histoire. Mais s'il m'a dit ça, ce doit tout de même être parce qu'il le pense. Même si je ne pense pas qu'il doit être fier de mon côté meurtrier.

Fermons les yeux pour les côtes négatifs des choses. Il faut se dire que de toute façon, on n'aura plus à y penser. Et que enfin, je pourrais rejoindre mon père, comme je l'avais toujours voulu. S'il savait depuis combien de temps j'attendais ce moment.

Peut-être qu'enfin, un de mes rêves deviendra réalité.