L'Amant du Fossoyeur 1/2

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Hello! Je me suis aperçus l'autre jour que je n'avais jamais ne serait-ce qu'évoqué de contes bretons! Pour quelqu'un qui a nourri son imaginaire à coups de korrigans, de fées et de mari-morganes, c'est impardonnable! Voici donc une histoire un peu différente des autres, un peu plus étrange, peut-être... J'espère qu'elle saura vous plaire! ;3

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Mon histoire se déroule là-bas, tout au bout de la lande, là où les vagues froides mangent les rochers, là où fini la terre, dernière escale des marins avant inconnu.

Mon histoire se nourrit d'un temps pas si lointain, et pourtant irrémédiablement perdu. Un temps où les ombres dansaient encore sur la lande, et nul ne s'aventurait dehors la nuit. Car tous connaissaient les histoires du coin du feu, et personne ne voulait perturber la ronde des korrigans, qui vous entraînaient jusqu'à l'épuisement dans des danses sans fins, ou les terribles lavandières, qui tordaient encore et encore, sous l'œil de la lune, des draps dégoulinant de sang. C'était un temps où l'on pouvait entendre, lorsque le vent s'était tu, le grincement sinistre de la charrette de l'Ankou, qui venait chercher l'âme des défunts. C'était un temps où le Diable rôdaient encore parmi les hommes, vêtus de mille noms et de mille apparences, toujours prêt à passer un marché, où disputer aux fées leurs emprises sur les menhirs et les forêts millénaires, gorgés d'une magie ancienne et dangereuse.

C'était le temps des légendes.

Mon histoire commence près du petit village de Plovenech, aujourd'hui disparu, décimé par les maladies et le soulèvement civil contre le royaume de France. Ce n'était guère plus qu'une bourgade, une centaine d'habitants, moitié pêcheurs, moitié fermiers.

Dans ce village, comme dans tous les villages, se trouvaient des maisonnettes aux pierres rongées par l'air salée, des rues de terre battue, une église, un modeste moulin, une fontaine, et un cimetière.

Dans ce village, comme dans tous les villages, se trouvaient un boulanger, qui sortaient ses miches chaque matin, un meunier, qui moulait son grain, un aubergiste, pour réchauffer de son cidre les marins et les fermiers, un prête, pour déclarer chaque dimanche l'indispensable sermon, et, bien entendu, un fossoyeur.

Autrefois, c'était le vieux Gwenole – dit « le vieux Gwen » – qui se chargeait de l'ingrate tâche. Mais le temps avait fait son œuvre, et l'ombre de l'Ankou avait finit par l'engloutir, le renvoyant à la terre. C'était la sombre ironie de son métier, après tout, l'enterreur enterré.

Ce fut son fils, bien entendu, qui prit sa suite. On était pas en un temps où l'on décidait soi-même de sa destinée, les traditions demandaient d'être maintenues, et chaque fils prenait la place de son père.

Le nouveau fossoyeur s'appelait Erwan.

Vous l'aurez peut-être compris, à présent. C'est sur lui que s'attarde mon histoire.

Erwan était un garçon bien bâtis, aux épaules larges et aux bras puissants, exercés par le maniement de la pelle. Il avait la peau tannée par les éléments, et la démarche souple de ceux qui sont habitués à marcher sur de longues distances. Personne ne connaissait sa mère. Mais ses yeux verts et ses cheveux roux, flamboyants, donnaient crédit aux mégères qui chuchotaient sur son passage que le vieux Gwen avait succombé dans sa jeunesse aux charmes d'une marie-morgane, ces filles de la mer au buste de femme et à la queue de poisson.

Plusieurs choses caractérisaient Erwan.

D'abord, il souriait. Il souriait tout le temps, très légèrement, comme s'il était venu au monde avec la commissure de ses lèvres légèrement relevée. Il avait une voix calme, chaude et chantante, qu'il ne haussait jamais. Personne, au village, ne l'avait jamais entendu crier, même enfant. Il traversait la vie tranquillement, sans se brusquer, en prenant son temps. Son regard était souvent perdu ailleurs, loin de ce qui était devant ses yeux. Ce qui amenait les plus superstitieux à se signer sur son passage, car il avait, littéralement, « le mauvais œil ».

Erwan était seul. Incroyablement seul.

C'était une des conséquences inéluctables du métier qu'il n'avait pas choisis. Quelqu'un qui côtoyait la mort, disait-on, ne pouvait qu'attirer sur lui l'œil de l'Ankou.

Alors Erwan ne se rendait pas à l'auberge, le soir, et se mettait de côté, à la messe du dimanche. Il ne protestait pas. Résister à l'inévitable est une perte de temps.

Pourtant, Erwan n'était pas plein de rancœur, ou complètement indifférent, comme on aurait pu s'y attendre. Le fossoyeur de Plovenech avait un secret, une seule chose qui le gardait en vie.

Il écrivait de la poésie.

Pas au sens propre, bien sûr, car l'écriture et la lecture étaient réservés aux riches et aux hommes d'Église. Lui se contentait de parler, de créer les vers, de les goûter, et de les lancer au ciel.

Lorsqu'il avait finis son travail de la journée, lorsqu'il avait taillé l'herbe du cimetière et refleurit les tombes, il s'asseyait parfois sur le menhir couché qui faisait face à la mer, juste à la sortie de son cimetière, et il écrivait, directement sur le vent. Parfois, c'était une histoire, parfois une simple impression, parfois une chanson, parfois un long silence.

Erwan aimait les mots, et les mots le lui rendaient bien, lui faisant presque – presque – oublier à quel point il se mourrait d'une caresse de chair, et d'un ami réel.

Et sa prière se réalisa, bien sûr. Mais pas, oh non, pas du tout, comme il l'aurait pensé.

C'était un soir d'été. Erwan avait donné le dernier coup de pelle à la tombe du vieil Yvain, et s'était assis sur son menhir, une demie miche de pain, un morceau de fromage et une bouteille de cidre à ses côtés, histoire de savourer le travail bien achevé.

Le fossoyeur contempla, songeur, le ciel se parer des premières teintes de la nuit, plongeant l'océan dans un abîme de ténèbre. Les mots coulèrent d'eux-mêmes jusqu'à ses lèvres. Il les laissa s'envoler doucement, appréciant le son de sa voix dans l'air du soir.

Il mit un temps avant de s'apercevoir qu'il n'était plus seul.

Quelqu'un se trouvait à côté de lui, un peu à l'écart. Un jeune homme à la silhouette fine et à la peau extrêmement pâle, qui ressortait sur sa cape noire comme une étoile dans un ciel d'encre. Il semblait venir du cimetière.

-Bonjour, lança l'inconnu. Je t'en prie, je ne voulais pas te déranger. Continue.

Sa voix était agréable, douce et lente. Erwan eut l'impression d'y déceler de la tristesse, et autre chose, quelque chose de glacé et d'effrayant.

L'impression, toutefois, disparue aussi vite qu'elle était venue.

-Je n'ai pas l'habitude d'avoir un public, répondit le jeune homme aux cheveux roux, sans hostilité. Qui es-tu ? Je ne t'ai jamais aperçu par ici.

-Je ne suis qu'un voyageur, répondit l'autre. Il m'arrive de m'arrêter dans le coin.

Il désigna du doigt une vieille charrette qui patientait devant l'entrée du cimetière, harnaché à un superbe cheval noir.

-Mais je ne m'attarde pas, d'habitude, c'est pour ça que tu ne m'as jamais vu.

-Alors pourquoi...

-Je t'ai entendu parler, et le son de ta voix m'a intrigué. Je n'entends pas souvent de poésie, dans les cimetières.

Erwan rougit jusqu'à la pointe de ses oreilles, monstrueusement embarrassé. L'homme en noir sourit très légèrement, amusé de sa réaction.

-C'était très beau, le rassura-t-il.

Cette fois, la rougeur du fossoyeur prit une autre teneur.

-Je... euh... Merci. Est-ce que tu... Tu veux rentrer ? Il commence à faire froid. Tu as bien le temps de prendre un verre avec moi.

L'homme en noir sembla réfléchir.

-Soit, dit-il.

Erwan arbora un énorme sourire. C'était la première fois qu'il invitait quelqu'un, et que la personne acceptait. Il s'était résigné des années plus tôt à ne jamais recevoir personne.

-Suis-moi ! Lança-t-il en descendant de son menhir pour rejoindre l'étranger.

Le cimetière, comme tous les vieux cimetières, était attenant à l'église. Le logement de fonction d'Erwan l'était aussi, ce qui sembla, pour une raison inconnue, amuser l'homme en noir.

-Je m'appelle Erwan, se présenta le fossoyeur en ouvrant la porte de chez lui. Je travaille au cimetière.

-Je m'appelle... Yann, se présenta à son tour l'inconnu, donnant après une courte hésitation le nom le plus répandu sur les terres bretonnes.

-Enchanté, répondit le roux sans relever l'attitude étrange de son visiteur. Je t'en prie, assieds-toi, et partage mon repas. C'est peu, mais c'est bien assez pour deux !

Yann sourit de nouveau et prit place autour de la table, sur l'une des deux seules chaises qui constituait l'ameublement, et que le père d'Erwan avait lui-même construit, en son temps.

Son visiteur étant bien taciturne, Erwan se chargea de la conversation pour eux deux. Il n'avait pas parlé – vraiment parlé à quelqu'un – depuis si longtemps... Avec beaucoup d'humour, il peignit le village et ses habitants, utilisant les railleries et les médisances qu'on lui adressait pour construire d'amusantes anecdotes, sans manifester la moindre rancœur vis-à-vis de son exclusion.

-Où as-tu appris à parler au vent comme tu le fais ? Demanda finalement, à la fin du repas, le mystérieux Yann.

-On raconte que ma mère était marie-morgane, sourit Erwan en remplissant deux bolées de cidre. Peut-être mes mots me viennent-ils d'elles.

-C'est pour ça que tu te mets face à la mer ?

-Un peu. Peut-être qu'elle m'entend, quelque part, peut-être qu'elle m'écoute. Et aussi, tout simplement, parce que l'océan est magnifique, et si grand... Toujours changeant, et pourtant, immuable. Éternel. Il me libère de mes peines et de mes colères.

Yann pencha légèrement la tête. La capuche, qu'il avait fini par baisser, avait révélé une tignasse sombres, qui luisait désormais à la lueur des bougies.

-Il y a définitivement quelque chose d'étrange en toi, Erwan le fossoyeur, dit-il enfin d'une voix douce. Quelque chose de différent.

Erwan se renfrogna. Voilà qu'à raconter des bêtises, il s'était encore fait passer pour un monstre de foire.

-Oui, continua Yann, encore plus doucement. Il y a quelque chose, chez toi, d'absolument fascinant.

Stupéfait, Erwan releva les yeux, plongeant du même coup dans le regard de son invité.

Celui qui prétendait s'appeler Yann avait les yeux sombres, si sombres qu'on les aurait dits taillés dans l'obscurité elle-même. De nombreuses choses dansaient dans ce regard, des choses que le jeune breton n'était pas sûr de bien comprendre. Mais il y avait aussi autre chose, une lueur étrange. Quelque chose qui lui était adressé, à lui.

Et personne ne l'avait jamais regardé comme ça.

Personne.

Sans bien savoir pourquoi, Erwan sentit ses joues s'enflammer, et son cœur eut un drôle de raté. Yann sursauta, comme s'il venait de se rendre compte de ce qu'il faisait, et détourna le regard.

-Je... hum... balbutia Erwan pour briser le silence qui menaçait de s'installer. Comme tu es voyageur, tu dois connaître beaucoup d'histoire, non ?

Yann eut un nouveau sourire.

-Oh, oui, bien plus que tu n'imagines...

-Raconte ! Le pressa le jeune homme, assoiffé de nouveau mots.

Yann hésita. Il regarda par la fenêtre, hésitant visiblement à partir... Puis revint sur le jeune homme aux cheveux roux et aux yeux d'émeraudes qui le fixaient impatiemment, suspendu à ses lèvres.

L'étrange voyageur sentit alors quelque chose qu'il n'aurait jamais cru pouvoir ressentir. Quelque chose de chaud, de doux, et de pressant, à l'intérieur de sa poitrine.

Déconcerté, incapable de comprendre réellement ce qui lui arrivait, il décida de commencer à parler, pour donner le change. Et pour voir Erwan sourire, encore un peu.

Yann raconta de nombreuses histoires, ce soir-là. Erwan en connaissait quelques-unes, mais elles étaient racontées d'une manière différentes, plus complètes, comme s'il ne possédait que le vague reflet d'une histoire plus ancienne. Yann racontait bien. Il décrivait les personnages et les lieux comme s'il les connaissait, quand bien même ses récits se déroulaient des centaines d'années en arrières.

Il raconta, encore et encore, se nourrissant du regard brillant du jeune fossoyeur, jusqu'à ce que la dernière bougie ne meure brusquement, les ramenant aux ténèbres.

L'obscurité était totale. Erwan tâtonna autour de lui, à la recherche d'une autre bougie, et d'allumettes. Alors qu'il relevait la tête, dans la direction où devait se trouver son visiteur, il vit... Deux yeux. Deux yeux noirs cerclés de blancs, qui luisaient légèrement et le fixaient, lui. Deux yeux désincarnés, qui ne frémissaient pas, ne battait pas des cils. Deux yeux immenses, bien plus larges que des yeux humains.

Une vague de terreur submergea le jeune homme. Il voulut hurler, mais aucun son ne sortit de sa gorge bloquée.

Une seconde plus tard, à peine, une lumière chaude rejaillit dans la pièce, révélant la figure de l'étranger, absolument semblable à celui qu'il était avant que la flamme ne s'éteigne. Il tenait à la main une bougie allumée, trouvée Dieu sait où.

Erwan laissa les dernières traces de son effroi disparaître. Il était stupide, il avait dû rêver, dans l'obscurité...

-Je suis déjà très en retard, déclara Yann, une pointe de regret dans la voix.

Il avait décelé la peur du jeune homme, et se maudissait en silence de son inattention. Il devait prendre garde à la nuit. Contrairement à ce que l'on croyait, elle avait tendance à révéler le vrai visage des choses.

-Déjà ? Soupira Erwan.

-Eh oui.

Yann se leva, et se dirigea vers la porte.

-Merci pour ton hospitalité, Erwan, dit-il d'une voix douce et grave. Personne ne m'avait aussi bien accueillit depuis plus longtemps que je m'en souvienne. Et j'ai une excellente mémoire.

-Tu m'as l'air aussi seul que moi, répondit l'intéressé en souriant. Je t'en prie, reviens quand tu veux !

Yann sembla réfléchir.

-Ça ne me semble pas très sage, murmura-t-il.

Puis il tourna la tête, pour tomber sur le regard suppliant de son hôte.

-Si mon travail me ramène dans le coin, répondit-il finalement, je reviendrai te voir.

Le sourire d'Erwan brilla si fort qu'il faillit ébranler la nuit.

Par le Temps, songea l'homme à la cape noire en s'aventurant vers l'entrée du cimetière une lampe-tempête, allumé par ses soins, à la main. Je ne sais pas exactement ce qui m'arrive... Mais le Seigneur lui-même n'aurait pu prévoir ça.

Il sourit lorsque Erwan l'aida à grimper sur sa charrette.

Oh non, Il n'aurait pu prévoir ça !

Son cheval se mit en marche automatiquement, sans qu'il ait besoin de lui parler où de prendre les rennes.

-AU REVOIR ! Cria Erwan à la charrette grinçante qui disparaissait dans la nuit.

Un instant, le fossoyeur cru apercevoir quelqu'un, à côté du Yann. Une forme humaine, presque intangible, comme une ombre...

Mais l'impression s'effaça au fur et à mesure que la charrette s'éloignait.

Pourvu qu'il revienne vite, songea le jeune homme roux, sans se douter un instant que personne, avant lui, n'avait jamais formulé ce souhait.

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