Les Sortilèges du bois maudit 2/3

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Frêne resta un instant immobile, désemparé. Ce n'était pas exactement ce à quoi il s'était attendu.

-Fafnir ? Répéta-t-il bêtement.

Le Sorcier l'ignora complètement et se précipita dehors. Frêne cligna des yeux avant de réaliser qu'il était tout seul, et partit à sa suite.

Il le retrouva à l'endroit où il avait laissé le dragon. En lisière de la petite clairière, Frêne observa le Sorcier utiliser une formule compliquée pour faire léviter la pierre et la reposer en haut du rocher.

Le dragon gémit.

-Nat...

Il n'avait plus du tout une voix semblable au grondement du tonnerre, songea Frêne en réfrénant malgré lui un sourire. On aurait dit un petit garçon qui était tombé par terre.

-Nat, j'ai mal à la tête... se plaignit la gigantesque bête.

Le Sorcier se pencha sur le front du dragon, qui était aussi large que lui, et l'examina soigneusement.

-Tu n'as rien, gros bêta, dit-il finalement d'une voix affectueuse.

-Mais siiiiii, gémit l'autre, il m'a lancé un gros un caillou sur le crâne...

Le Sorcier rit doucement et ouvrit ses bras au maximum pour donner une étreinte au dragon bleu.

À ce stade, Frêne avait les yeux ronds comme des soucoupes, et la mâchoire pendante. Ce n'était pas exactement la scène qu'il avait imaginée. Pas vraiment. Et c'était un euphémisme.

-Et la brute tout habillée de fer ? Dit soudain le dragon en roulant sur le dos, la tête posée sur le sol pour être à la hauteur du Sorcier. Il a eu peur, et il est partit ?

-La bru... Par toutes les pattes de mouches ! s'exclama le Sorcier, soudain paniqué.

-J'en reviens pas, bougonna Frêne, qui hésitait entre rire et pleurer. Il m'a oublié.

Lui qui s'attendait à un combat épique, des sorts malfaisants jetés à tout-va et une victoire au prix d'une longue et douloureuse bataille, voilà qu'il se faisait carrément ignorer parce qu'il avait assommé Fafnir. Le dragon.

-Dites, lança-t-il en s'avançant dans la clairière, ça vous gênerait de vous intéresser un peu à moi ?

Il n'avait pas fait un pas en avant que le dragon avait refermé ses pattes autours du Sorcier pour le mettre à l'écart, et le fixait avec une menace non voilée, les crocs de nouveaux sortis. Mais Frêne avait un peu de mal à le prendre au sérieux, à présent...

-Je ne te laisserai pas faire de mal à Nat, dit enfin la bête. Si tu le blesses, et même si tu parvenais à me tuer, tu ne ressortirais pas d'ici vivant. Personne dans la forêt ne te laissera repartir.

Un mouvement, à la lisière de la clairière, attira le regard de Frêne...

Il était encerclé.

Des dizaines de créatures de toutes les tailles, de toutes les formes et de toutes les couleurs l'observaient en silences. Fées, cerfs, centaures, licornes, individus constituée d'eau, de terre ou de feuille, humains transparents, ou chats aux couleurs étranges, tous le dévisageaient avec la même gravité.

-Paix, mes amis ! s'exclama le Sorcier. Fafnir, pour l'amour des Fées, redescend moi.

-Mais...

-Fafnir !

Le dragon s'exécuta en bougonnant.

Frêne pouvait enfin faire face à l'ennemi qui le hantait depuis bientôt quatre ans.

Le chevalier fut surpris de ne trouver sur son visage aucune menace, aucune cruauté, aucune violence. Rien que de l'inquiétude.

Le Sorcier avait l'apparence d'un homme d'une vingtaine d'année au teint extrêmement pâle et aux lourdes boucles noires. Il avait un visage fin, découpé à la serpe, avec des pommettes hautes, des lèvres pleines et deux grands yeux sombres, couleur charbon, déstabilisants. Le reste de son corps svelte était vêtu de ce que Frêne avait pris pour une robe, et qui était en fait une longue tunique bleue nuit aux manches courtes, supportée à la taille par une large ceinture de cuir à laquelle était accrochée une sacoche. Ses pieds nus dépassaient de son pantalon un peu trop long et large.

S'il n'y avait pas eut ce regard si sombre, si intense, si chargé de... d'un je ne sais quoi d'étrange, d'ancien, de puissant, Frêne aurait dû reconnaître qu'il avait presque l'air fragile, enfantin.

-Fafnir a raison, dit enfin le Sorcier. Mes amis sont pacifiques, mais ils ne te laisseront pas partir si tu me fais du mal.

-Tes... Amis ? Bégaya Frêne, qui essayait d'assimiler à vitesse adéquate les nouvelles informations qu'on lui présentait.

L'autre soupira.

-Reprenons depuis le début. Tu es venu pour... ?

-Te tuer.

-À cause de... ?

-Saule.

-Saule ?

-Mon ami, s'expliqua Frêne, de plus en plus confus. Vous l'avez enlevé, il y a quatre ans.

-Saule... réfléchit le Sorcier. Un très beau jeune homme avec de longs cheveux roux ?

Le cœur de Frêne fit un bond spectaculaire.

-OUI !

-Alors je suis désolé, répondit tristement le sorcier. Je ne l'ai pas enlevé. Il est partit de lui-même.

Il y eut un blanc.

-Partit de lui-même ? Répéta bêtement Frêne.

-Il s'est aventuré dans la forêt, un soir. Je crois qu'il voulait prouver que le Sorcier n'existait pas. Fafnir l'a trouvé en train de mourir de froid, à la lisière de la forêt contaminée. Il l'a ramené. Saule voulait quitter le village, il ne supportait plus son existence là-bas. Honnêtement, je le comprends. Mais il avait un ami qu'il ne pouvait se résoudre à quitter. Alors il l'a attendu. Il a dit que si son ami l'aimait vraiment, il viendrait le chercher. Il est resté deux ans avec nous, mais son ami n'est pas venu. Alors il est partit au-delà de la forêt, dans les pays plus chauds et plus heureux, où les gens n'ont pas des superstitions stupides et dangereuses. Je lui ai bien dit que c'était idiot, et que ce n'est pas parce que son ami n'était pas venu qu'il ne l'aimait pas, mais il n'a rien voulu entendre.

Le monde de Frêne était en train de s'écrouler tout autour de lui. Son cœur se délitait. Plus rien n'avait plus de sens. Rien. Saule était partit. Saule l'avait abandonné. Non, il avait abandonné Saule...

-Tu devrais t'asseoir, dit gentiment le Sorcier.

-Nat ! Chuchota le dragon si fort qu'il aurait aussi bien pu crier. Dis-lui de partir ! Il est dangereux!il m'a jeté un caillou sur la tête !

-Fanir, je te rappelle que j'ai fait...

-Un serment, oui, je sais, soupira le dragon, et Frêne eut la drôle d'impression qu'une bonne partie des créatures qui l'entouraient levaient les yeux au ciel.

-Mais tu pourrais faire une exception pour un humain qui veut te tuer... argua désespérément le dragon.

-On en a déjà parlé, Fafnir. Je ne ferai aucune exception, à aucun prix.

-Quel serment ? Balbutia le pauvre Frêne, pour qui le monde était passé de lisible à totalement incompréhensible en moins de dix minutes.

-Reprenons depuis le début, répondit le Sorcier. Je m'appelle Nathaniel, mais la plupart de mes amis m'appellent Nat.

-Tu es un Sorcier.

-Un Enchanteur !

Frêne lui jeta un regard perdu.

-Il y a vraiment une différence ?

-La même différence qu'il y a entre un rêve et un cauchemar. Les deux ont la même nature, mais pas les mêmes dessins. J'ai prêté le serment des Enchanteurs, qui m'oblige à protéger et aider tous ceux qui en ont besoin, et ne jamais, d'aucune façon que ce soit, faire du mal à un être pensant.

-Drôle de façon de faire ! Ricana Frêne. Des bébés enlevés, une forêt détruite, des gens qui tombent malades...

L'Enchanteur eut une grimace de colère. Étrangement, Frêne se fit la réflexion que l'expression ne lui allait pas, comme si ce visage n'en avait pas l'habitude.

-Les humains sont stupides, répondit-il. Ils ont si peurs de la magie qu'ils répandent du fer partout, jusqu'à la terre qu'ils cultivent et l'eau qu'ils boivent. Certes, le fer brûle la magie. Mais il fait aussi dépérir la forêt, et provoque des maladies. Maladies qu'ils attribuent à la magie, et répandent donc encore plus de fer... Les bébés sont les plus fragiles, et donc les plus touchés. Alors, les nuits de pleine lune, lorsque j'ai assez de pouvoir pour traverser la forêt contaminée par le fer et les barrières du village, je vais chercher les bébés, je les soigne, et je les mets en sécurité, chez des familles où ils seront heureux, de l'autre côté de la forêt.

-Mais... mais... pourquoi ne pas les rendre ?

Frêne ne pensait même pas à discuter ce qu'il entendait. Il aurait se méfier, mais l'Enchanteur avait l'air si sincère... Et les paroles qu'il proférait résonnait à ses oreilles comme l'affreux son de la vérité.

-Pour qu'ils retombent malades ? Répondit doucement l'objet de ses pensées. À quoi bon ? Ça ne me fend le cœur, d'entendre pleurer les mères, mais ça vaut mieux que de regarder mourir sans rien faire tant de bébés...

-Mais il fallait leur dire ! Aller s'expliquer !

-Frêne, c'est ça ? Frêne, à ton avis, que se passerait-il si je m'approchai du village ?

Le chevalier n'eut pas à répondre. Bien sûr, tout le monde essayerait de le tuer. Lui aussi, avait voulu le tuer.

-J'irais leur dire !

-Ils ne te croiront pas. Ils penseront que je t'ai manipulé. D'ailleurs, ça me surprend que tu ne sois pas trop borné pour réfléchir. Tu es la première personne, après Saule, à m'écouter jusqu'au bout sans chercher à me frapper.

-Ce n'est pas parce que je porte une armure que je suis un imbécile !

-Un point pour toi, répondit l'Enchanteur en souriant.

Il avait un beau sourire, s'aperçut Frêne... avant de se reprendre. Ce n'était franchement pas le moment.

-Que vas-tu faire, à présent ? Demanda gentiment l'Enchanteur.

Frêne leva les yeux au ciel. Le soleil mourrait tout doucement, étendant ses doigts rouges sur la voûte.

-Mon objectif n'a pas changé, répondit-il finalement. Je vais retrouver Saule.

-Je te montrerai le chemin. Saule a de la chance d'avoir un ami tel que toi.

-Je l'ai abandonné.

-Je ne suis pas d'accord. J'ai l'impression que c'est lui qui t'as abandonnés. Il s'est enfui sans rien dire, comme un voleur. Toi, lorsque tu as su qu'il était en danger, tu as aussitôt abandonné la vie que tu avais pour le secourir, et consacré toute ton existence à son sauvetage ou sa vengeance.

-Comment le sais-tu ? Répliqua l'autre, aussitôt méfiant.

-Il me l'aurait dit, si son fameux ami était chevalier. Si tu l'es maintenant, c'est que tu as appris entre temps. Et comme tu le cherches toujours, je ne peux que déduire que tu l'as fait pour lui... Et lui, il n'a même pas pus t'attendre deux ans de plus...

C'en était trop. Frêne avait encaissé beaucoup, beaucoup de choses aujourd'hui, mais personne n'insultait Saule en face de lui.

-Dit donc... dit-il en agrippant le bras de Nathaniel.

Mais il n'alla pas plus loin. L'Enchanteur se crispa tout entier, et hurla de douleur. Un cri long, rauque, qui se déchirait dans les aigus avant de repartir... Perdu, Le chevalier regarda autour de lui, cherchant ce qui pouvait causer une telle souffrance...

-LÂCHE-LE ! Hurla Fafnir en le heurtant de sa grosse patte. LÂCHE-LE !

Comprenant soudain, Frêne lâcha le bras de l'Enchanteur, qui s'écroula comme une poupée de chiffon. Il y avait une énorme trace rouge, là où le chevalier l'avait attrapé, une tache rouge striée de cloque et tâches noirâtre, où la chair avait finis de carboniser.

Le fer. Frêne portait des gantelets de fer.

-Nat ! NAAAT ! Hurlait Fafnir, son immense tête penchée au-dessus du corps immobile, sa détresse palpable dans sa voix.

Une seconde plus tard, ce fut une ruée formidable. Toutes les créatures qui se trouvaient aux alentours se précipitèrent vers l'Enchanteur inconscient en se bousculant et en poussant des cris de détresse.

-STOP ! Hurla Frêne, les deux bras écartés.

Tous se turent, et dardèrent sur lui des regards chargés de haine.

-Je suis désolé, dis Frêne, qui le pensait réellement.

Ses yeux se posèrent sur celui qu'il pensait maléfique, une heure plus tôt, et qui gémissait doucement sur le sol, visiblement souffrant.

-Je suis vraiment désolé... répéta-t-il, un ton plus bas.

-On s'en carre ! Lança une voix.

Une petite pierre rebondit sur l'armure du chevalier, suivit d'une autre, et d'une autre...

-Dégage !

-Sale humain !

-Disparais !

-ARRÊTEZ ! Tonna de nouveau Frêne en écartant ses bras, toujours recouverts de l'armure.

Tous s'écartèrent prudemment.

-Vous avez un médecin, ici ? Demanda-t-il à Fafnir.

Le grand dragon fit non de la tête, les yeux pleins de larmes.

-C'est Nat qui nous soigne tous... gémit-il.

-Alors je vais m'en occuper, déclara le chevalier.

Et il commença à enlever son armure.

-Il en est hors de question ! Cria une fée.

-On ne te laissera pas le toucher, espèce de...

-Vous n'avez pas vraiment le choix, répondit tranquillement Frêne en continuant. Je vous promets, sur ma vie et mon âme, que je ne lui ferais plus jamais mal.

Il y eut un silence.

-Sur ta vie et ton âme, répondit Fafnir d'un ton mortellement sérieux.

Frêne ne répondit pas. Il s'était enfin dégagé de son armure. Simplement vêtu d'un pantalon moulant et d'une chemise de lin, et souleva Nathaniel dans ses bras. Dieu, qu'il était léger !

Et il marcha en direction de la maison de l'Enchanteur, en priant tous les saints de la nouvelle religions– il n'osait plus faire appel aux fées – de l'aider à réparer sa faute.

~

Nathaniel ouvrit difficilement les yeux. Il avait mal... Si mal... Il reconnaissait la brûlure du fer. Il l'avait déjà éprouvé dans sa chair, longtemps auparavant.

-Nathaniel ? Appela une voix qu'il ne reconnut pas.

Il grogna quelque chose, et tourna la tête. Ah oui, le chevalier. L'ami de Saule. Qu'est-ce qu'il faisait encore là ?

Le chevalier lui sourit gentiment, puis se leva, et se dirigea vers le carré de lumière que Nathaniel distinguait vaguement, au bord de sa vision, et qu'il estimait être une porte. La porte de chez lui.

-Il est réveillé ! s'exclama le chevalier.

Aussitôt, un concert de soupir de soulagement et de petits cris de joie se fit entendre. L'Enchanteur sourit dans son lit, touché que ses amis se soient autant inquiétés.

-Ne bouge pas, intervint le chevalier.

Nat se contenta de tourner la tête vers lui, et haussa un sourcil moqueur.

-Je ne risque pas de m'enfuir en courant...

L'autre eut un sourire amusé, et se saisit d'un morceau de tissus imbibé de quelque chose, qu'il posa avec douceur sur son bras. La sensation de fraîcheur fut instantané, et Nathaniel se détendit visiblement.

-Un chevalier qui sait soigner ? Ironisa-t-il.

-J'ai demandé à mes maîtres de m'apprendre, répondit l'intéressé. Je ne voulais pas causer de blessures dont je ne pouvais m'occuper, au moins sommairement. Mais, dis-moi, si tu es un sorcier, pardon, un Enchanteur, avec des pouvoirs de guérison, pourquoi ne te guéris-tu pas toi-même ?

-Ça serait trop simple, soupira Nat. Je puise ma magie de ma force vitale, ce qui demande un grand contrôle. Blessé, je deviendrais trop faible, et risquerais de mourir dans le processus.

-À éviter, donc, répondit Frêne avec humour.

-Je trouve que tu es passé bien vite de la folie meurtrière à la sympathie envers l'ennemi, Frêne le chevalier, s'étonna Nat.

L'intéressé haussa les épaules, tentant de paraître indifférent... Puis abandonna, et lâcha un profond soupir.

-Mes maîtres m'ont encouragé à toujours garder un esprit ouvert, me remettre en cause sans cesse, et d'abord examiner la parole d'autrui avant d'en douter. C'est... C'est difficile. La Vérité. Ça fait mal, souvent. Mais je suis chevalier. Je ne veux pas blesser d'innocents. Et je suis... Je suis désolé, pour ton bras. J'aurais dû faire attention...

Nathaniel sourit, et tendit une main pour effleurer sa joue. C'était un geste d'une tendresse gratuite qui déstabilisa un peu Frêne, lui qui avait grandi dans un lieu emplit de crainte et de désespoir. Mais il avait l'intuition que l'Enchanteur dispensait cette douceur à tous ceux qui en demandaient, de la plus humble créature à la plus puissante. Cet homme était un puits d'affection sans fond.

-Tu es un être rare, dit l'Enchanteur. Je vais t'indiquer la route pour aller jusqu'à Saule.

-Merci, répondit l'autre, merci de tout cœur ! Mais je ne partirai pas maintenant, je dois réparer ma faute. Et puis, j'ai comme l'intuition que Fafnir m'arracherait la tête, si j'osai faire un pas en direction de la sortie...

-CORRECT ! Lança une voix, faisant trembler les murs.

Nathaniel éclata de rire.

-Je n'ai pas besoin d'être tant couvé ! protesta-t-il en se glissant hors du lit.

Le monde resta stable environ une seconde, avant de trembler et tanguer tout autour de lui. Frêne le rattrapa in extremis, en faisant attention à ne pas toucher sa blessure.

-Hors de question ! Lança-t-il en le redirigeant vers le lit.

-Mais j'ai besoin de faire ma tournée, gémit l'Enchanteur.

-Ta tournée ?

-De mes amis. Vérifier qu'il n'y a pas de blessé, que tout va bien, qu'ils sont nourris, que leur habitat est en bon état, qu'aucun humain n'a détruit leur maison par mégarde ou par peur, et, le cas échéant, aider à reconstruire...

Frêne baissa les yeux, honteux qu'il était d'appartenir à l'espèce humaine.

-Je vais t'aider, dit-il. Appuie-toi sur moi.

Nathaniel sourit, et accepta son bras.

Ensemble – suivit d'un Fafnir suspicieux – ils firent le tour du domaine de l'Enchanteur. Frêne ouvrait des yeux gigantesque, stupéfait qu'un monde si incroyable se soit dissimulé si près de chez lui durant tout ce temps. Il apprit comment récolter du miel de fée, et nourrir un chat-esprit. Comment remettre en place une écaille de vouivre, et tamiser l'eau d'une rivière. Comment puiser le lait des étoiles, et le donner à boire aux bébés naïades.

Le soir suivant, Nathaniel lui indiqua la route à suivre, pour retrouver Saule. Mais Frêne ne voulait pas partir, pas encore. Il lui fallait veiller sur l'Enchanteur, encore très faible. Et il y avait tant de choses à découvrir...

Au fil des jours, les créatures s'habituèrent à lui, et, voyant qu'il n'était pas méchant, commencèrent à communiquer avec lui. Même Fafnir cessa de le surveiller pour reprendre ses airs d'enfant capricieux-mais-adorable, qui semblaient constituer son état habituel.

Frêne apprit que les dryades chantaient la nuit, et que leurs voix étaient si belles que les fleurs s'ouvraient pour les écouter. Il apprit que les centaures vivent des centaines d'années – presque aussi longtemps que les Enchanteurs – toujours avec le même compagnon, et se laissent mourir de faim si l'un d'entre eux part trop tôt. Il découvrit que Fafnir était fou amoureux d'une naïade, et qu'il restait des heures au bord de l'eau, à échanger avec la translucide créature.

Il apprit aussi, hélas, que cet endroit était l'un des derniers refuges magiques du royaume. Que les hommes, en polluant l'eau et les plantes, détruisait les forêts, et tuaient ou rendaient folles énormément de créatures. Des créatures comme celles qu'il avait tué, en venant. Il comprit que la nouvelle religion, qui commençait à s'implanter, effaçait dans le cœur des humains le souvenir des fées des fontaines, des esprits bienveillants, et des créatures mutines.

Il s'aperçut que Nathaniel était le cœur de ce petit paradis, qui existait depuis des centaines d'années, quoi qu'il se soit bien réduit au cours des siècles. Pourtant, nul n'était prisonnier de cet endroit. Les créatures allaient et venaient, se fixaient ou n'étaient que de passage. L'Enchanteur les accueillait tous avec la même hospitalité. Il n'était pas naïf, pourtant, comme l'avait au début soupçonné Frêne. Il connaissait le mal, la violence, la colère, la haine. Le chevalier, en enlevant sa chemise pour le soigner, avait vu les cicatrices, sur son torse, trace d'anciennes confrontations avec les hommes. Mais Nathaniel pardonnait, encore, et toujours, avec une constante presque effrayante. Nathaniel pardonnait tout, et prenait soin de tous, avec un sourire désarmant.

Et Frêne sentait au fond de lui grandir le désir de protéger l'Enchanteur. Il était si puissant, et pourtant si fragile ! Le monde ne pouvait pas se permettre de le perdre. Oh, non, il était bien trop sombre, cet l'univers. Il fallait que Nathaniel existe, pour compenser.

Alors il reportait son départ, encore, et encore, sous prétexte de rattraper sa faute. Le visage de Saule dansait parfois dans son esprit, accompagné d'une douloureuse culpabilité. Mais malgré tout son désir de revoir son ami disparu, il ne pouvait se résoudre à abandonner Nathaniel, Fafnir, et les créatures merveilleuses de cet endroit hors du temps.

Quant à Nathaniel, le pauvre, il se trouvait aux prises avec les pires tourments qui, quoique délicieux, lui laissait le cœur tout écorché.

Il aimait Frêne. Oh, oui, il l'aimait. Il l'avait aimé au premier pas qu'il avait fait dehors, accroché à son bras, au premier cri de joie poussé par le chevalier en voyant butiner une fée. Il l'aimait pour la douceur de sa force, pour cette puissance qu'il domestiquait si bien. Il l'aimait pour l'éclat de son sourire, et la teinte sombre que ses yeux prenaient parfois, en se tournant du côté du village. Il l'aimait pour son caractère curieux, et la droiture imperturbable de ses actions. Il l'aimait pour son côté borné et son humour parfois difficile à comprendre. Il l'aimait pour sa simplicité, et la route droite, ferme et pragmatique qu'empruntait toujours son esprit, si contraire à lui, qui n'était qu'un doux rêveur, tête en l'air et philosophe.

Il l'aimait, et déchiré, se contentait de le regarder, de le dévorer du regard, sans oser rien dire, sans oser rien faire. Entre eux se dressait la figure de Saule. Nathaniel avait été l'ami de Saule. Il ne pouvait pas le trahir ainsi. Et puis, Frêne l'aimait. Il voyait si souvent ses yeux prendre la route qu'il lui avait indiqué, celle qui rejoignait son ami disparu. Frêne était devenu chevalier pour Saule, il avait combattu ce qu'il pensait être un dragon féroce pour lui, il l'avait cherché des années et des années durant...

Alors, Nathaniel se contentait de sourire avec tristesse, et laissait faire les choses. Il aimait trop Frêne pour ne serait-ce qu'essayer de le détourner de son véritable amour.

-Nat, se plaignit un soir Fafnir, je n'aime pas te voir cette expression-là...

-Quelle expression ? Répondit l'Enchanteur d'un ton de fausse innocence.

Ils étaient dehors, sous les étoiles. Frêne dormait sous un arbre, un peu plus loin, et Nathaniel se trouvait lové dans la patte de Fafnir, les yeux tournés vers la voûte céleste, toute piqueté de diamants tremblotants.

-L'expression de quelqu'un à qui on a volé son goûter, répondit le dragon.

Nat laissa échapper un petit rire.

-Personne ne m'a volé mon goûter !

-Vu comment tu le regardes, répliqua la bête, on dirait pourtant que tu veux le dévorer...

Nathaniel soupira, son hilarité envolé.

-Il en aime un autre, Fafnir. C'est ainsi.

-Je suis pas d'accord, Nat ! Rétorqua obstinément l'autre. Il n'a pas le droit d'aimer quelqu'un d'autre que toi !

L'Enchanteur sourit et caressant son museau.

-On ne peut contrôler le cœur de personne, mon cher... souffla-t-il avant de s'endormir.

Ou, du moins, de faire semblant. Son esprit, déjà bouleversé, était tordu d'angoisse. Demain, c'était la pleine lune. Et Nat n'était pas certain d'avoir assez de force pour traverser la forêt contaminée et se rendre jusqu'au village.

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