Aujourd'hui, j'ai pris un café avec Monsieur Charles.

Je l'ai rencontré hier, dans ce même café. Nous avons un peu discuté, de... Je n'arrive plus à me souvenir de quoi...

Enfin bref, c'est que ça ne doit pas être important. Aujourd'hui, nous allons faire plus ample connaissance.

Pour l'occasion, j'ai enfilé mon costume du dimanche. Il faut que je sois bien présentable.

Combien de fois j'ai pu mettre ce costume !

Avant, j'arrivais à l'enfiler rapidement. Enfin, je crois... Je sais plus trop...

Aujourd'hui, tout est plus lent. Je suis obligé de m'aider de ma canne pour pouvoir me lever, et avancer.

J'avance à coté de mes meubles, des murs, recouverts de petits bouts de papier.

Je n'ai jamais compris pourquoi ils étaient là. Il va falloir que je les enlève un jour.

Tout doucement, à mon rythme, je me suis habillé.

C'était quand, la première fois que j'ai mis mon costume ?

Pour Suzette.

Ma Suzette. Quand nous étions allé au bal de la St-Jean, tout les deux. C'était en 1952.

Il va falloir que j'en parle à Monsieur Charles !

J'étais très timide à cette époque. Je l'avais rencontré alors que je travaillais dans la boutique du vieux George.

Elle venait souvent.

C'était une belle époque.

Je me rappelle encore de ses sourires, de ses regards...

Je me rassoit un peu sur mon lit, je prend ma montre pour entourer mon poignet.

Mon regard est porté sur quelques boites et un Post-it sur ma table de chevet.

"Un cachet le matin".

Je prend la petite boite de cachet.

Oui, je me souviens maintenant. Je dois prendre un cachet.

Quelques gorgées d'eau plus tard, je décide enfin de me mettre en route.

-Suzette ! J'y vais ! Je serais de retour dans environ une heure.

Ma Suzette n'a jamais aimé que je parte sans prévenir. Elle est capable de devenir un ouragan lorsque cela ce produisait.

Alors maintenant, je la préviens.

Je me dirige vers la porte.

Avant d'avoir pu l'atteindre, la porte s'ouvre, et une jeune femme rentre. Elle est vêtue d'une blouse blanche

Je ne sais pas quoi dire.

-Qui... Qui ?

Je n'arrive pas à marmonner plus. Le fait est que j'ai cette impression d'avoir déjà croisé ce regard d'un bleu profond, et cette chevelure en bataille.

-C'est moi, Cassandra, vous en faites pas.

Je remonte un peu mes lunettes, avant d'apercevoir une étiquette attaché à sa blouse. J'arrive tout juste à lire "Cassandra".

-Vous avez pris vos cachets ?

-Oui... Oui, je les ais pris.

Ses lèvres forment un petit sourire.

-Je vois que vous avez mis un beau costume aujourd'hui ! Vous allez voir quelqu'un ?

-Je vais rencontrer Monsieur Charles...

-Monsieur Charles ?

-Un brave homme que j'ai rencontré hier.

-Ah bon ? Intéressant ! Vous l'avez rencontré où ?

Je me rassois sur mon lit.

Cassandra me rejoint et s'assoit à mes côtés.

-Hier... Je l'ai rencontré hier... Dans un café, je crois... On a un peu parlé...

La jeune femme se lève et s'avance vers la sortie.

-Si jamais vous avez besoin, vous savez où me trouver.

Je préfère ne plus y penser. Je me lève et je marche lentement.

Arrivé dans le couloir, je me sens bizarre.

Le café. Comment y aller ?

Je m'approche d'un petit panneau accroché au mur.

A droite, je vais tourner à droite.

Je ne reconnais pas l'endroit. Où suis-je ? En marchant, je croise plusieurs individus, vêtus de la même blouse blanche que Cassandra. Ils me font tous un signe, où me font un petit signe.

Je parvins toutefois à me retrouver dans ce labyrinthe.

Plusieurs souvenirs me reviennent à l'esprit.

Tout ça me rappelle l'hôpital dans lequel travaillait Suzette. Ces gens en blouse, toujours occupé, à droite, à gauche...

Je crois que je suis venu ici pour lui rendre visite au travail. J'aurais du demander à Cassandra où je pouvais la trouver.

J'arrive dans un petit café. Je crois que c'est ici que j'ai rencontré Monsieur Charles.

Je m'assois, et j'attends.

Mes lacets sont défaits. Ca me rappelle  mes années de jeunesse, ma mère me répétait tout le temps "Refait tes lacets avant qu'ils ne te refassent des bleues".

Il faut dire qu'à l'époque, j'étais très casse-cou.

J'en aurais bien profiter, au moins !

Je crois bien que j'ai effectuée ma dernière cascade à vingt ans, lorsque je fus percuté par le camion du vieux George. Y a pas à dire, c'était une drôle de manière de commencer ma très longue carrière dans la boutique.

Après m'être perdu dans mes vieux souvenirs, je me rendis compte que j'étais encore seul. Monsieur Charles n'était pas là.

J'étais dans un mystérieux endroit, un café.

Ca me fait penser à l'hôpital où Suzette travaille. Je vais aller la rejoindre.

-Vous attendez quelqu'un ?

Je n'avais pas remarqué qu'un jeune homme s'était assis face à moi. Jeune, beau et dynamique, et une bosse proéminente sur un coin de son front. Un petit casse-cou. Il me rappelle l'être que je fus jadis.

Je regarde sur sa blouse. Alexandre.

Ce n'est pas Monsieur Charles.

-Vous savez où se trouve Suzette ? Elle travaille ici, elle est infirmière.

-Monsieur... Suzette est... Elle est décédé il y a quinze ans...

Il se tut un instant.

-Venez, je vais vous raccompagner dans votre chambre...

-Vous ne voudriez pas prendre un café avec moi ?

-Maintenant ?

-C'est à dire que j'attendais quelqu'un, mais il n'est pas venu.

Il est resté là, attendant qu'on nous serve du café.

-Je peux vous poser une question ?

-Allez-y

-C'est qui ce Monsieur Charles dont vous m'avez parlé tout à l'heure ? C'est qui pour vous ?

Je réfléchis un instant.

Monsieur Charles. Je l'ai rencontré hier, dans un café. On a un peu discuté, mais pas beaucoup. On devait faire connaissance.

Mais j'ai oublié... Ou bien ma Suzette...

Une petite larme se mit à couler sur ma joue.

Je crois que Monsieur Charles... C'est moi.