14. Grace - Nouveau coq dans la basse-cour

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14. Grace – Nouveau coq dans la basse-cour

Le seul avantage à arriver après tout le monde à la patinoire est que je n'ai pas à écouter les ragots dans le vestiaire et à faire semblant que ça m'intéresse. Pas que je sois bonne à ce jeu en temps normal mais au moins, aujourd'hui, on ne pourra pas me reprocher de ne pas prendre part à la discussion.

Je suis bien contente qu'on ne me rebatte pas les oreilles avec la plastique des hockeyeurs alors que je me prépare. Je préfère me concentrer sur ma future performance, me créer une bulle dans laquelle le succès est roi et l'absence de bruits, reine. Je n'ai de toute façon pas besoin qu'on me rappelle leurs caractéristiques physiques, j'ai pu le constater par moi-même ce matin. Difficile de louper le mètre quatre-vingt dix et les quatre-vingt-dix kilos de muscles, à quelque chose près, assis en face de fois il n'y a même pas deux heures sur une chaise en plastique ridicule.

J'ai bien cru que le karma se jouait de moi quand j'ai compris qu'on était tout seul tous les deux dans cette salle d'attente. Mon équilibre bonnes-mauvaises actions ne doit pas être très harmonieux ces derniers temps pour que je me retrouve coincée avec lui à attendre dans même pas quinze mètres carrée, quelques jours seulement après notre dernière rencontre. Je vais pourtant devoir m'y habituer, on fréquente le même pôle sportif, on risque de se croiser plus que nécessaire. Entre les entraînements, la patinoire et les rendez-vous médicaux, on va côtoyer les mêmes sphères.

Seulement, je pensais être capable de l'ignorer. Continuer de zapper les vidéos de mes adversaires les plus directes qui s'entraînent à l'étranger mais filment certains de leurs entraînements. Ce n'est pas vraiment de l'espionnage industriel, plus pour prendre des nouvelles. À la place, j'ai entamé la conversation comme si de rien n'était. J'en suis la première surprise. Il est bien l'une des dernières personnes avec qui j'ai envie de bavarder mais il a saisi ce magazine de sports d'hiver et m'a tendu, sans le savoir, la perche parfaite.

Je n'aime pas rester sur un échec. J'ai passé le week-end avec mille idées de répliques en tête, souhaitant effacer ce sentiment de vulnérabilité qui m'a traversé l'échine quand je me suis aperçue que je faisais face à un groupe d'hockeyeurs non seulement baraqués mais surtout bourrés. Mon départ n'était pas des plus flatteurs.

Cet instant imprévu dans cette salle d'attente était l'occasion idéale pour faire preuve de créativité. Je n'aurais pas dû. J'aurais dû m'en tenir à cette fuite, suivre mon instinct de survie. Laisser chacun bien à sa place dans sa discipline, même si on pratique la même piste, dans le même centre.

Je me dépêche de m'habiller. J'ai déjeuné sur le pouce, achetant un sandwich à la première boulangerie du coin en sortant de mon rendez-vous avant de prendre la direction de la patinoire. Mes affaires étaient déjà dans mon sac pour m'éviter un détour. Tout pour ne pas perdre une seule seconde. Comme toujours la glace m'appelle, elle me chuchote des mots doux pour que je vienne y glisser le plus longtemps possible.

Peut-être que je veux aussi oublier l'étincelle de provocation dans les yeux de « Mason Brun ». Ou ce foutu vert pistache qui s'est éclairci, joueur, quand je lui ai répondu. Il a été si silencieux en groupe vendredi dernier, brillant de son absence dans la discussion, que je suis surprise de lui découvrir une répartie. Il me semblait si blasé par la situation que je ne pensais pas qu'il prenait la peine de me répondre aujourd'hui, ni qu'il le ferait, taquin, sans la moindre once d'hargne ou d'ennui dans sa voix. Je m'attendais à ce qu'il garde le silence, feuilletant le magazine qu'il avait en main pour m'éviter.

Je chausse mes patins, le souvenir de sa voix rocailleuse en tête. Tout en lui m'inspire le brut, la roche, un mur contre lequel je ne veux pas me frotter. Il respire les problèmes. Je place les protections plastiques jaune citron sur mes lames, attache mes cheveux en queue de cheval et pars affronter la piste, bien décidée à jeter ce souvenir aux oubliettes.

Laisser chacun dans sa discipline, bien à sa place.

C'est une bonne résolution.

— Alors ce rendez-vous ?

Lewis interrompt mes pensées, tout en me coupant le chemin à la sortie des vestiaires. Il était trop occupé avec ses jeunes élèves quand je suis arrivée dans l'enceinte, j'ai préféré aller me changer que de faire un détour pour le saluer. Je m'échauffe près de la piste tout en lui répondant.

— La routine, rien d'anormal !

— Tu es sûre ?

— Pourquoi je ne le serais pas ?

— Parce que tu semblais préoccupée.

— Je réfléchissais au troisième temps de la chorégraphie, j'ai toujours du mal à ce que ce soit totalement smooth.

Je m'en sors avec un tour de passe-passe et je soufflerai presque de soulagement quand il hoche la tête, ne voyant pas à travers mon écran de fumée. Hors de question de lui partager ma rencontre avec un des brûleurs ce matin. Lewis s'énerve rarement mais Bouvier a le don pour le faire sortir de ses gonds à la vitesse de l'éclair. Mon parrain serait capable d'aller le trouver pour menacer chacun de ses gars juste pour avoir osé m'adresser la parole. Et j'ai tout sauf envie de provoquer une troisième guerre mondiale. On a des championnats à préparer, pas des loups à dompter. Leur fichu mésentente n'est pas mon problème.

— Pas la peine de s'inquiéter pour ça, on a encore pas mal de temps avant de présenter le programme et tu progresses à la vitesse idéale. Fais le vide dans ta tête, on bosse sur le salchow p aujourd'hui.

Il prend mon téléphone, me tend mon casque sans fil et repart vers les gradins. Je lui fais un signe de la main pour qu'il enclenche ma playlist. La musique emplit mes oreilles alors que j'entame quelques tours de piste. Très vite, j'oublie tout des yeux rieurs et du sourire en coin du loup en question, me concentrant plutôt sur ma vitesse, ma souplesse, la légèreté de mes gestes... et les bleus que je me suis fait à la session d'hier en voulant insister sur ce fameux salchow que je n'arrive pas à lier à la figure précédente.

La piste est anormalement vide, on n'est sans doute que quatre ou cinq. L'absence d'adversaires me plonge plus rapidement dans ma préparation. Bien contente de pouvoir glisser librement sur une plus grande surface que d'habitude, sans avoir à prêter spécialement attention à ce qu'il se passe autour de moi, j'enchaîne les boucles piquées, les flips ou autres lutz. De belles diagonales de sauts successifs qui me permettent de prendre confiance sur mes appuis. Après un bon quart d'heure de chauffe, Lewis m'adresse un signe pour que je revienne vers le bord de la patinoire afin de me donner ses instructions.

— Ok, tu vas faire le même type de diagonale mais seulement avec des salchow, tu en enchaînes quatre ou cinq pour bien reprendre le saut, puis quand tu le sens bien – et seulement quand tu le sens bien – tu ajoutes un lutz avant et on va travailler à lier les deux.

Il est interrompu dans son explication par un brouhaha venant de l'entrée des vestiaires. Je comprends mieux mon impression de vide sur la glace. Un rapide coup d'œil à l'horloge m'indique que j'ai mangé plus rapidement que je ne pensais. Il est à peine treize heures. La plupart des sportifs étaient en pause déj' et sont sans doute revenus se changer pendant que je m'échauffais. Une tête blonde dépasse du lot, entourée par plusieurs filles et semble être la source de tout ce bruit, provoquant rires et discussions animées. Il est de profil d'où je suis et je n'arrive pas à le reconnaître. Lewis m'apporte l'information qui me manque.

— Alexis Poyet, il vient d'arriver au centre pour s'entraîner ici cette saison.

Le concerné se retourne vers nous juste à ce moment-là, comme s'il avait entendu son nom. Alexis Poyet, en effet. Grand, musclé tout en finesse, les cheveux courts et blonds, des yeux marrons crème glacée, espoir prometteur du patinage artistique français. Il s'entraîne normalement à l'étranger, participe rarement aux championnats en France. Je ne sais pas ce qu'il vient faire ici.

Il nous sourit en passant devant nous et je lui rends la pareil poliment avant de retourner sur la glace. J'ai échappé aux potins ce matin, ce n'est pas pour perdre mon temps avec le nouveau topic à la mode cet après-midi. Les autres semblent déjà être sur le coup et je leur laisse volontiers le mode groupie. Pourtant, alors qu'il prend ma suite, je ne peux m'empêcher de jeter un coup d'œil à sa performance. Il ne semble pas s'encombrer de ses accompagnantes et, très vite, s'élance. Rapide, élégant, il semble voler au-dessus de la glace. Sa technique est à pâlir. Je ne crois pas avoir ce niveau et ce n'est pas faute d'avoir essayé pourtant. Il virevolte, ne fait pas attention à ce qui se passe autour de lui, retombe sur ses jambes avec souplesse, comme si ses articulations ne prenaient aucun coup. On sait lui comme moi que ce n'est pas vrai. Oui, on a des astuces pour se réceptionner le plus délicatement possible et ne pas se faire mal, mais ça joue forcément sur les articulations.

Toujours est-il que sa technique est impeccable. Il fait quelques tours de piste pour s'échauffer, quelques pirouettes toutes simples avant d'attaquer son véritable entraînement. Comme moi, il semble lui rester à apprendre de nouveaux mouvements. Je me laisse happée par sa vision, le regardant essayer encore et encore, avant de me rendre compte que je le fixe depuis tout à l'heure, même si c'est de côté et que j'essaie d'être discrète. Je sais très bien à quel point ce n'est pas agréable de s'entraîner en étant observé, bien qu'il faille composer avec. Je me force donc à détourner le regard et à me concentrer de nouveau sur mes propres mouvements, mon observation n'a pas échappé à Lewis qui fronce les sourcils tout en donnant de nouvelles instructions à Lucie et Cindy.

Je ne dois pas me déconcentrer. J'ai des championnats de France à préparer. Il faut que je reste focalisée sur cet objectif. Le but est d'atteindre la première place pour aller plus loin. Europe, Monde, Olympique. C'est ça la vraie visée et ce n'est pas en restant observer un autre patineur comme une idiote que je vais y arriver, ou m'améliorer. Non, pour ça, il n'y a que le travail, la répétition et les conseils de mon entraîneur. Une nouvelle chanson se lance dans mes oreilles et j'en profite pour commencer les diagonales que Lewis m'a demandées.

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