Arès

Je n'ai jamais été l'ambitieux de la fratrie. Non, ce rôle revenait à Véga. Ma soeur changeait de passion à chaque trimestre mais ne perdait pas l'espoir de pouvoir un jour faire du roller sur l'avenue Montaigne, quatre gardes du corps à ses côtés pour tenir à distance les fans hystériques. Malgré tous ses hobbies éphémères, le truc de ma soeur, c'était bien le roller. Je ne serai pas surpris qu'elle dorme avec. Je me demande même si elle sait marcher sans. Avec ces trucs, elle roule sur tout le monde, se fichant pas mal des autres. J'aimerais être aussi indifférent que Véga. Mais c'est comme si c'était moi qui devait supporter toutes les émotions que ne ressentent pas mes frères et soeurs. Et à chaque nouvelle vague, je me fissure un peu plus. Je comble mes failles avec de l'aquarelle, mais le plus efficace, c'est Ève. Cette fille trimballe un truc avec elle. Je ne sais même pas si elle en est consciente. Ève vit entourée de ses insécurités et de ses rêves, n'étant que rarement réaliste et terre à terre. Elle voyage dans sa tête, m'emportant dans son sillage coloré. Car si Ève devait être une couleur, elle serait un arc-en-ciel.

- Tu peux t'asseoir ici, me dit-elle en tapotant la place qu'il restait à côté d'elle sur le banc en velour noir.

Devant nous, deux couleurs. Du blanc, du noir. On dirait presque des dominos. Leur matière dure et froide m'y fait penser. Bientôt, une mélodie résonne dans mon crâne et fait vibrer mon squelette. Je regarde les doigts de la blonde danser sur les touches du piano. Je suis d'abord intimidé par tout ce bruit. J'ai l'impression qu'il vient de moi. Puis, je me rend compte qu'en fait, c'est un peu ça. Mes poumons se gonflent, ma cage thoracique éclate, mes cordes vocales me chatouillent au fond de ma gorge. Je fredonne l'air à mi-voix.

À mi-voix.