12. La salle d'archives

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Il n'y a que lorsque que je franchis la porte principale du petit pavillon que mon professeur cesse enfin de me suivre pour continuer son chemin vers la place principale. J'avais bien remarqué qu'il était prévenant, mais je ne pensais pas qu'il pouvait l'être à ce point !

Sitôt enfermée, je me jette sur la boîte à éther. Hélas, je n'ai pas plus de succès que sous le saule. Ce n'est vraiment pas ma journée ! Bon, j'ai assez perdu de temps comme ça, il ne me reste plus qu'à courir au temple trouver Rinsheng.

Quelques surveillantes me lancent des regards outragés ou sévères en me voyant fendre la foule, jupes retroussées. Je prétends ne pas entendre celles qui s'indignent sur mon passage : ce n'est vraiment pas le moment ! D'ici, je ne sais me rendre qu'à l'entrée principale du temple, sur le grand parvis aux braseros, malheureusement fermée.

J'ignore comment gagner les autres entrées, excentrées, que j'utilise d'habitude pour mes tâches d'enfant-du-temple. Alors je me dirige vers le premier groupe de prêtresses que je croise.

C'est là qu'un doute m'envahit : et si Rhanxei avait tort ? Et si Rinsheng était en ce moment-même avec l'empereur ? Ou ailleurs, à profiter de la fête ? Le mélange d'inquiétude et de panique qui se peint soudain sur mon visage émeut assez mes interlocutrices pour que l'une d'elles me prenne les mains en me demandant ce qui ne va pas.

Je ne peux pas lui expliquer. Mais j'insiste pour voir Rinsheng ou une de ces prêtresses aux chapeaux tressés et ceintures rouges. Après avoir échangé des regards ennuyés, elles essayent toutes de me convaincre de repasser plus tard, de profiter de la fête... mais j'insiste tellement que celle qui m'avait pris les mains finit par céder, en soupirant. Elle me fait entrer par une porte modeste, en bois de rose, sur le côté du bâtiment. Elle m'accompagne ensuite jusqu'à un petit salon, plus décoré que les salles auxquelles je suis habituée, où elle m'intime de patienter.

Quand la porte s'ouvre à nouveau, c'est sur la prêtresse taciturne qui m'avait escortée la dernière fois où j'ai discuté en secret avec l'empereur. Lèvres closes, regard scrutateur, elle me salue respectueusement avant de m'observer, résolument muette. Je tente :

- Euh... bonjour. Rinsheng n'est pas là ? 

- Elle est occupée. C'est elle qui m'envoie.

- Ah.

Je serre les doigts, nerveuse. Ne sachant pas trop dans quelle mesure je peux rentrer dans les détails, j'ajoute :

- Il faudrait vraiment que je lui parle. Soit à elle.... soit à l'empereur, c'est assez urgent.

Hum. Oser demander de moi-même à parler à l'empereur doit être choquant car la prêtresse redresse brusquement la tête, interloquée. Ce moment ne dure pas. L'expression à nouveau dure, elle annonce froidement :

- Vous pouvez parler librement devant moi. Je sais qui vous êtes.

Savoir qui je suis est une chose. Savoir ce que je suis en est une autre. Ignorant donc ce qu'elle sous-entend par là, je propose en tâtonnant :

- Eh bien... c'est... c'est à propos de... de spectres ?

À mon grand soulagement, elle hoche aussitôt le menton, peu surprise, m'invitant à continuer d'un petit "hum". Je déclare alors avec plus d'assurance :

- Il y a un spectre en particulier. L'empereur m'a demandé de lui dire si je le voyais, j'ai essayé de le contacter directement, mais...

- Je vous ai dit de me parler librement, me coupe-t-elle, abrupte, avant de faire claquer sa langue contre ses dents comme si j'avais dit quelque chose d'anormal.

La contemplant d'un air perplexe, je m'étonne :

- C'est ce que je fais...

Enfin, aussi librement que possible. Rien ne me dit qu'elle est dans le secret pour la malédiction et les manipulateurs. Selon l'empereur, peu connaissent tous les détails. D'un autre côté, si elle est dévouée à la sécurité de la famille impériale, j'imagine qu'elle doit bien savoir une chose ou deux ? Son regard s'étrécit sur moi, comme cherchant à me comprendre, puis elle souffle :

- Bon. Continuez.

- Je n'ai pas réussi à joindre l'empereur. Le souci, c'est que ce spectre est dangereux. Or, je ne sais pas s'il a simplement disparu parce qu'il était à court d'énergie, ou s'il a quitté l'endroit où il se trouvait et rôde encore au palais. Je comptais rester à le surveiller, mais j'ai été distraite par un de mes professeurs.

Honteuse, je fuis son regard en m'intéressant soudain au mur, pinçant les lèvres.

- À quoi ressemblait ce spectre ?

Me voyant hésiter à répondre, elle ajoute :

- Est-ce que c'était celui aux yeux rouges, ou celui sans regard ?

Celui sans regard ? Ce serait celui qui s'en est pris à Kianshei ? En tout cas, je note qu'elle a au moins entendu parler de celui qui me préoccupe.

- C'était celui aux yeux rouges.

Aussitôt, elle pinces les lèvres, irritée, avant de grommeler :

- Il faut toujours qu'il arrive quand est déjà assez occupés par d'autres fantômes ! Où l'avez-vous vu ?

- Sur le ponton du grand lac, dans la vallée.

- Et vous pensez qu'il est parti ou qu'il a disparu ?

- Je vous ai dit : je ne sais pas.

- Je ne vous ai pas demandé ce que vous savez. Mais ce que vous pensez.

Oh ! Hum... Prenant le temps de réfléchir à la question, et de me fier à mon instinct, je réponds :

- Je pense qu'il a disparu.

- Bon. Tant mieux. Je vais au plus vite prévenir tout le monde, dont sa Majesté.

Oh ! Je crois que je comprends enfin ! Je me demande si je ne l'ai pas froissée tout à l'heure en disant simplement "l'empereur" au lieu de "sa Majesté".

- Autre chose à ajouter ? exige-t-elle.

- Eh bien, la reine aux perles est en train de se réveiller.

Tant qu'à rapporter des information utiles à l'empereur, autant ajouter celle-ci dans le panier.

- Très bien.

S'il y a des soucis avec des fantômes diurnes, peut-être que l'empereur est ici en ce moment ? Sans trop savoir pourquoi, je demande alors :

- L'empereur est avec vous, ou il est à la fête ? 

Comme je la vois tiquer à nouveau, je corrige avec déférence :

- Pardon, je veux dire, sa Majesté.

Raté ! Elle grimace encore plus, fronçant le nez comme si je l'exaspérais.

- Il est à la fête, hélas, finit-elle par me répondre une fois sa contenance retrouvée.

Me dévisageant avec autant de sérieux que d'incompréhension, elle ajoute :

- Quand je dis que je sais qui vous êtes, ça veut dire que je sais ce que vous êtes.

Étonnée, je réponds :

- Vous savez que je suis chasseuse d'âmes ?

C'est vrai que ça ne l'a pas surprise que je sois capable de voir des fantômes. Pourtant, j'ai à peine fini ma phrase qu'elle écarquille les yeux, répétant avec stupeur :

- Vous êtes chasseuse d'âmes ?!

- Euh... oui. Nocturne. Mais je peux tout de même vous aider.

Aïe ! Peut-être que je n'aurais pas dû lui révéler cette information. Ça commence vraiment à bien faire ces piles de secrets dont le contenu change constamment d'une personne à l'autre ! Mais comment font ces gens pour ne jamais se tromper ?!

- Vous êtes douée ?

- Je fais de mon mieux.

- Oubliez la modestie. Est-ce que vous êtes douée ? répète-t-elle, implacable.

Bon, évidemment, ça dépend toujours du point de vue et du contexte. Mais...

- Oui.

- Bien. Alors venez avec moi, on a besoin de vous !

Et sans rien m'expliquer de plus, elle tourne les talons pour se diriger vers la porte.

-  Il ne vaudrait pas mieux que je retourne à la fête ?

- Selon moi, sûrement pas ! Toute cette farce est grotesque, grogne-t-elle sans ralentir l'allure. De toute manière, maintenant vous êtes ici. Il n'y a pas de hasard, les ancêtres vous envoient.

Je reconnais les deux adages préférés de Rinsheng !

- Ah ! Vous pouvez m'appeler Herayun, me fait-elle avant d'ouvrir la porte.

Dehors, deux prêtresses redressent immédiatement les épaules. Herayun chuchote à l'oreille de l'une qui se dépêche ensuite de partir. Puis elle adresse à l'autre un signe du menton avant de filer avec elle dans les couloirs.

- Il n'y a pas besoin que je me change ?

- Normalement, non.

- Qu'est-ce qu'il se passe exactement ?

- Des larves. Un peu trop. Qui s'accumulent dans un endroit qui en était jusqu'à présent dépourvu. Elles accompagnent possiblement un spectre vengeur. Ou un spectre pensant, mais je n'espère pas. Ce qui est étrange, c'est que ni l'un ni l'autre n'ont encore fait leur apparition.

Il n'est pas rare de trouver une larve ou deux dans un endroit abandonné. Elles sont plus nombreuses dans ceux où il y a eu beaucoup de passages, et d'émotions. Cependant, généralement les larves sont stagnantes, elles n'apparaissent pas soudain quelque part sans prévenir. Lorsque c'est le cas, c'est qu'elles ont suivi un spectre ou un objet particulier dont l'énergie les attire.

- Elles sont ici, au temple ?

- Elles sont au temple, mais pas ici.

- L'empereur m'a dit qu'il y avait une salle au temple, hantée par des spectres vengeurs et que...

- Oui, me répond-elle sans attendre la fin de ma phrase. Cette salle est sous contrôle. Ça n'a rien à voir.

J'insiste tout de même :

- Je me suis battue avec l'empereur contre des spectres qui étaient sortis de cette salle. Des larves les suivaient. Sur le moment, je n'ai pas osé demander comment ça avait pu être possible qu'ils se soient échappés de...

- Eh bien, vous demanderez à sa Majesté la prochaine fois, me coupe-t-elle encore. Ici, ça n'a rien à voir.

Je n'arrive pas à déterminer si je la dérange, ou si c'est simplement ainsi qu'elle s'exprime. Dans tous les cas, j'ai besoin d'en apprendre plus, alors je persiste :

- Bon. On ne sait pas comment ou pourquoi ces larves sont apparues ?

- Non. C'est le problème. Elles ne sont pas hostiles pour l'instant. Nous les affaiblissons, mais nous n'arrivons pas à trouver ce qui les fait venir. Nos meilleurs prêtres et prêtresses, ceux qui ont le don, ne voient rien de particulier.

- Ah...

- Ce serait plus simple si sa Majesté pouvait venir, souffle-t-elle avec aigreur.

- Vous lui avez demandé ?

- Pas encore. On peut agir seuls. Mais c'est plus compliqué.

Elle bifurque soudain à droite, puis à gauche, puis prend une porte dérobée. Je crois que je ne me repérerai jamais parmi les innombrables corridors et enchaînements de pièces du temple, tant ils sont agencés de manière complexe !

Nous arrivons enfin dans un large passage où plusieurs prêtres et prêtresses attendent. Deux prêtresses sont vêtues comme celles qui m'accompagnent, les autres comme celles et ceux qui avaient été attaqués par l'ikun-baraï. Ceux-là sont absorbés dans des litanies répétitives.

Personne ne pose de questions sur moi, ceux qui ont les yeux ouverts se contentant de guetter les ordres de Herayun. Mais elle ne dit rien, m'invitant à avancer sur le seuil d'une salle grande ouverte.

Tout un pan de mur, coulissant, semble être fait de papier épais, qui filtre la lumière du soleil, lui donnant un ton orangé. L'endroit est lumineux, propre, bien rangé. Des rouleaux et recueils reliés s'empilent sagement sur les étagères en bambou clair, au côté de petits livrets et de boîtes en bois gravées.

Chaque chose est à sa place. Pourtant, l'endroit me paraît trop chargé, encombré... Au centre, dans un carré dénué de meubles, Rinsheng et deux autres prêtresses agitent des branches, psalmodiant une langue que je ne comprends pas. De l'encens brûle, s'élevant vers le plafond.

Tout semble normal, même si je peux sentir combien l'atmosphère ici est pesante. On se sent comme un jour où les nuages sont bas, et le moral au fond de bottes que l'on a traînées toute la journée dans la boue et le froid. Il n'y a qu'autour des trois prêtresses que l'air est plus dégagé. Herayun tourne le cou vers moi, exigeante :

- Alors ? Vous voyez autre chose que les larves ?

C'est à dire que, pour l'instant, je ne vois même pas les larves ! Mais bien vite, je reprends mes réflexes. Chasseuse nocturne ou pas, mes dons devraient suffire s'il s'agit uniquement d'inspecter les lieux. Je ferme donc les paupières, me concentrant. Puis je commence le chant rituel, claquant des doigts à chaque formule, aiguisant ma vision spirituelle.

Cela me semble bien plus facile à présent, au calme, bercée par les voix des prêtresses, que tout à l'heure dans la vallée. Quand je rouvre les yeux, je perçois enfin les ombres informes et épaisses, qui paraissent goutter du plafond ou s'élever mollement du sol, emplissant la salle de leur lugubre langueur.

- Alors ? insiste Herayun.

À première vue, il n'y a pas d'autre vie spectrale. Mais il y a bien quelque chose qui ne va pas. Ces larves n'appartiennent pas à ce lieu, elles ne font pas partie des murs ou des meubles. Elles ne sont pas liées aux vies, aux émotions, aux personnes qui ont vécu ici. Elles sont en trop. Et malgré tout, continuent de s'agglutiner, de plus en plus nombreuses. Je n'ai jamais rien vu de pareil.

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