Le prince avança de manière peu assurée comme il ne l'avait jamais fait. . Il marchait à pas lents, retenant son souffle de peur de ne l'effrayer encore plus, cette petite créature qui se trouvait soudain une fascination folle pour son reflet dans l'eau. .

Voyant bien son manque de coopération, il se décida à, durant sa courte " traversée ", évaluer les dégâts qu'ils avaient causé à eux deux tout seul.

Ainsi, l'incroyable salle-de-bain réservée si généreusement aux servantes était bien plus proche d'une porcherie que d'une salle d'eau royale. .

Le prince se frotta le front d'un air encore plus exaspéré.

Comme s'il n'avait pas assez de problèmes comme cela. . Pensa-t-il en étant plus qu'à deux pas du bain dans lequel se trouvait sa " protégée ".
Celle-ci avait le corps tout tremblotant et il était impossible de savoir s'ils étaient dûs à la peur ou le froid. .

En effet, ses fines lèvres étaient bleues à cause de sa longue aventure dans les bois enneigés mais son visage obsessionnellement tourné vers le bas et son corps secoué de spasmes rappelaient plus la terreur qu'autre chose. Analysa le prince en pesant ses mots dans sa tête.

Ça faisait combien de temps que je ne me suis pas soucié de ce que pouvait penser mon interlocuteur. . ? S'interrogea l'héritier sans quitter des yeux celle qui dérogeait définitivement à toutes ses habitudes.

Il avait du mal à savoir si ce qui l'agaçait le plus était le fait qu'elle soit une fille-bête ou qu'elle soit arrivée à lui faire prendre conscience que lui aussi pouvait faire preuve d'une sauvagerie toute aussi importante que ses compatriotes les animaux. .

Lui vint alors toute une période de remise en question. .
Du plus loin qu'il se souvienne, on ne lui avait parlé des hommes-bêtes que par des termes réducteurs et péjoratifs, la reine, sa mère, était d'ailleurs la première à le faire. .

Mais alors pourquoi?..
Pourquoi cette gamine-animale était tout sauf sauvage ?
Pourquoi c'était lui qui la persécutait et pas elle ?
Pourquoi c'était lui qui l'attaquait et pas elle ?!
Pourquoi avait-elle tout d'une humaine..et.. était-elle une bête. . ?

Le prince qui n'en pouvait plus de se torturer l'âme en se posant toutes ces questions secoua sa tête avant de l'apostropher :

- Excuse-moi..

La fille sursauta puis leva sa tête en alerte, vers lui.. ce prince indigne qui avait osé abuser de son autorité en battant injustement une fille-bête parce qu'elle était fille-bête. .

Cette pensée lui glaça le sang tandis qu'elle était confirmée par la crainte qui emplissait les yeux de la pauvre fille et qui ne les quittait plus..

- Je suis désolé.. S'empressa le prince de murmurer.

Les oreilles de l'enfant se dressèrent d'un bond, ses pupilles se dilatèrent comme celles des chats et sa bouche tomba à terre, dévoilant des crocs luisants. .

Personne..ne s'était jamais excusé auprès d'un homme-bête. . Personne ne s'était jamais excusé..auprès..d'elle..

Des larmes ne tardèrent pas à glisser sur ses joues salies par son long voyage. Des hoquets lui échappèrent tandis qu'elle rougissait sous les poussières qui dissimulaient son visage.

Le jeune aux cheveux blancs se tortilla sur lui-même à la vue de ce pauvre spectacle. . Il ne savait même plus où se mettre. . ?!

Que.. qu'est-ce que j'ai fait encore. . ? S'horrifia-t-il en la voyant s'étouffer à travers ses hoquets et ses spasmes. Je.. j'ai parlé trop vite. . ? Trop fort ? Ma voix ne lui plaît pas, peut-être..? S'inquiéta-t-il en réfléchissant très sérieusement. Mais il fut très vite dérangé dans sa stupide réflexion par la fille-bête qui pleurait de plus belle, en pressant cette fois-ci son cœur de ses mains, comme lorsqu'elle le redoutait tout-à-l'heure. .
Le prince fronça aussitôt les sourcils.

Il ne pouvait pas accepter qu'elle le craigne une fois encore. Se dit-il en s'agenouillant humblement, comme l'aurait voulu son père, comme si la misérable était une princesse.
Il s'autorisa par une énorme prise de courage à tendre sa main vers le visage de la malheureuse mais ce fut peut-être un peu trop tôt car elle se replia sur elle-même en un cri muet, le corps tremblotant comme jamais. .

Les sourcils du jeune homme s'affaissèrent de tristesse à la vue de ce rejet. .

C'était peut-être la monnaie de sa pièce ou tout simplement le traitement qu'il méritait vraiment. . ?

Le jeune héritier parut réellement blessé.

- J'ai perdu mon lion.. commença-t-il soudain d'une voix éteinte et faible.

La queue de la fille-bête s'agita légèrement d'intrigue à l'entente du ton beaucoup moins effrayant que celui de tout-à-l'heure mais elle releva la tête à l'entente des sanglots qui provinrent du prince juste après ses mots.. Alors, les yeux de la fille-bête s'arrondirent à la vue d'un homme aussi perdu et affaibli, aux traits marqués, aux yeux rougis et au visage détruit.

Pour la première fois, elle le voyait non plus comme son agresseur ou même son sauveur mais..comme un triste homme..un triste homme désœuvré..

Ses sourcils bruns se retroussèrent de compassion vers le haut.

- .. Il est mort..tué par la reine.. En plus.. Rit-il amèrement, en reniflant piteusement, les yeux obstinément tournés de côté, comme fuyant celle qui faisait ressortir ce qu'il y avait de meilleur en lui. .

Il n'arrivait plus à lui faire face.. Remarqua-t-il, complètement abattu.

- Alors.. pardonne-moi.. Reprit-il entre deux sanglots avant de s'incliner solennellement. Je..je suis toujours perdu quand King n'est plus là. . Avoua-t-il. Mais alors là.. là..me dire qu'il ne reviendra plus me tue... Susurra-t-il d'une voix affligée, d'autres larmes débordant de ses si particuliers yeux rouges avant de se relever timidement vers celle auprès duquel il implorait le pardon. .

Là, comme si les larmes de celui qui l'avait violentée précédemment la touchaient, sa queue remua tristement tandis que ses oreilles se collaient à ses cheveux, signe de peine et de compassion. .

Elle osa relever doucement sa tête vers lui..avec crainte et pudeur..réserve et timidité..
Elle s'offrit à lui, en semblant l'avoir totalement pardonné. .

Et c'est alors que leurs regards se croisèrent.. et ne se lâchèrent plus. .

Ils étaient là.. immobiles..silencieux.. Ils s'observaient, pour l'une avec intrigue, n'arrivant pas à détourner ses prunelles animales des larmes du prince, pour l'autre, à observer cette créature avec fascination, ses petits macarons encore pleins de larmes, ses traits fins, son nez aquilin, son visage pâle et pleins de terre mais restant fin, il en était persuadé. . .

Soudain, n'y tenant plus, il s'essaya de nouveau à lui caresser les cheveux. . Et, chose surprenante, la jeune fille-bête se laissa apprivoiser sans mordre ni crier..