XXXIV : L'homme et la fonction

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Chronologie :
2 mai 1998 : Bataille de Poudlard
26 décembre 2003 : Mariage de Harry et Ginny
20 juin 2004 : Election de Ron à la tête de la guilde de l'Artisanat magique
17 juillet 2005 : Naissance de James Sirius Potter
04 janvier 2006 : Naissance de Rose Weasley
26 juin 2006 : Naissance d'Albus Severus Potter
16 mai 2008 : Naissance de Lily Luna Potter
28 juin 2008 : Naissance de Hugo Weasley
Période couverte par le chapitre
: 26 décembre 2009 au 12 janvier 2010

La dernière semaine de décembre, Harry suivit Faucett à diverses réunions : bilan des affaires en cours avec le ministre, dernier point avec Tiern Watchover. Deux jours avant son départ, Faucett lui demanda :

— Es-tu déjà allé à Azkaban ?

Harry secoua négativement la tête.

— En vue de tes prochaines responsabilités, une petite visite s'impose. Comme ça, je te présenterai à Cerberus Carcer, le directeur de la prison.

— Bien, fit Harry avec une excitation mêlée d'appréhension.

Il avait tellement entendu parler de ce lieu qu'il était naturellement curieux de le visiter. Cependant, ce qu'il avait vu dans le regard de ceux qui y avaient été emprisonnés lui faisait pressentir que la visite serait difficile.

En fin de matinée, Faucett et Harry descendirent dans l'atrium. Le commandant sortit un portoloin de sa poche et le tendit à Harry. Après avoir senti la familière – et désagréable – sensation, ils se retrouvèrent sur un ponton en bois froid et venteux.

Trois sorciers se trouvaient là et faisaient la queue devant une guérite. Harry suivit son commandant qui doubla tout le monde et se présenta devant les deux hommes qui gardaient l'accès de l'embarcadère. Les deux plantons écarquillèrent les yeux en reconnaissant Harry et rectifièrent leur position.

— Je suis désolé, Monsieur Potter, mais je dois appliquer les procédures prévues, prévint celui qui semblait commander.

— Faites votre travail, se soumit Harry.

Pour commencer, on le fit passer sous un portique. L'impression était familière à Harry, car le même dispositif avait été installé à la porte du QG des Aurors après que Rita eut été démasquée par ses soins. C'était une sorte de Cascade des voleurs qui annulait tous les sorts de dissimulation. Lui et son commandant furent ensuite priés de remettre leur baguette et de se soumettre à une fouille magique.

Le laissez-passer que tendit Faucett fut examiné avec soin, et le préposé fit apparaître un motif sur le col de leur cape. Quand ils en eurent enfin terminé avec ces formalités, on les invita à descendre le long d'une planche inclinée qui reliait l'embarcadère à une barque. Un gardien s'y trouvait déjà, ainsi que deux autres visiteurs. L'un d'eux était une femme dans laquelle Harry reconnut Pansy Parkinson. Elle lui jeta un regard haineux, avant de s'abîmer dans la contemplation de la grise mer du Nord. Heureusement, il n'y avait pas trop de vent. La légère brise était cependant glaciale et Harry resserra sa cape autour de lui. Il regarda vers le large ; l'île n'était pas en vue.

— Combien de temps dure la traversée ? demanda-t-il à son compagnon.

— Une bonne heure quand le temps est beau, le renseigna Faucett. On a de la chance, aujourd'hui.

En contemplant le ciel plombé, Harry se dit que la chance était une notion très relative à Azkaban. Les autres visiteurs les rejoignirent et ils se mirent en route. Le vent forcit durant la traversée, et Harry sentit son estomac protester. Au bout d'un long moment, Faucett lui donna un petit coup de coude et du menton lui désigna une masse sombre sur l'horizon. Durant le quart d'heure suivant, Harry la vit grossir peu à peu.

Au terme de leur voyage, durant lequel pas une parole n'avait été échangée, ils accostèrent le long d'un quai taillé dans la roche noire qui servait de base à l'île. La pierre était suintante d'humidité et Harry y prit pied avec précaution, n'ayant pas envie de prendre un bain glacé dans l'eau trouble qui clapotait à un mètre en dessous. Il leur fallut ensuite gravir un long et sinueux escalier aux marches inégales et glissantes, avant de se trouver devant deux lourdes portes en bois massif, renforcées par des ferrures. Pendant qu'un des battants s'écartait lentement en grinçant, Harry contempla la forteresse qui se dressait au-dessus de lui. Il ne voyait qu'un mur massif, à peine troué par quelques meurtrières. L'effet était terriblement oppressant.

Une fois le portail franchi, ils se retrouvèrent arrêtés par une herse. La porte se referma derrière eux, et ils furent soumis à une nouvelle fouille avant de pouvoir sortir du sas. Pansy, qui était toujours avec eux, se laissa faire avec indifférence, sans doute habituée à ce traitement. Elle échangea d'ailleurs quelques mots avec le gardien qui fouillait le balluchon qu'elle avait amené, signe qu'elle venait assez régulièrement pour le connaître. Quand ces formalités furent terminées, ils franchirent la grille. De l'autre côté, un homme long et sec les attendait. Il avait le teint, les cheveux et les yeux gris, comme délavé par le climat.

— Cerberus Carcer, se présenta-t-il en regardant Harry. Je suis le directeur d'Azkaban.

Il tendit la main en ajoutant :

— Je suis honoré de vous rencontrer, Monsieur Potter.

— Enchanté également, répondit Harry qui avait appris à répondre sobrement aux manifestations de respect qu'il recevait.

La poignée de main entre Carcer et Faucett fut cordiale. Manifestement, les deux hommes se connaissaient et s'appréciaient. Harry se demanda si le directeur n'était pas un ancien Auror.

— Si vous le voulez bien, nous commencerons la visite par mon bureau. Je pourrais vous montrer les plans du bâtiment.

À la suite de Carcer, ils traversèrent une cour dont les pavés aux arêtes saillantes rendaient la marche malaisée.

— L'endroit est conçu pour qu'il soit impossible de courir, indiqua le directeur en retenant Harry qui s'était tordu la cheville. Il est également pénible de stationner ici, que ce soit debout ou assis. C'est pour éviter que les détenus n'envahissent le lieu.

Harry leva les yeux. Ils étaient entourés de plusieurs tours massives.

— C'est dans les tours que les prisonniers sont enfermés ? demanda-t-il.

— Ils sont répartis en fonction de la gravité de leurs actes. Les petites peines sont logées dans les tours Ouest. Elles sont moins glacées et ont été aménagées de façon plus confortable. Enfin, je devrais dire moins spartiates. Par là, vous avez les crimes de sang. Et dans le donjon, les grands criminels : les Mangemorts les plus actifs et tous les utilisateurs d'Impardonnables.

Harry se sentit mal à l'aise à l'idée qu'il n'était lui-même pas blanc comme neige au sujet de ces sorts. Il songea à ceux dont il avait participé à l'arrestation, et dont certains devaient croupir dans cette masse de pierre.

Après des couloirs froids et sonores, cela faisait un drôle d'effet de pénétrer dans la pièce chauffée et drapée de teintures qui servait de bureau à Carcer. Remarquant l'étonnement de Harry, le directeur précisa :

— Vous savez, ce poste n'est pas spécialement une sinécure, et pour retenir les candidats sérieux, le ministère fait quelques efforts pour nous rendre la vie agréable.

— Je présume que ce n'est pas une fonction facile, admit Harry. Vous devez vivre sur place, je suppose.

— Oui, effectivement. J'ai cependant un second qui est habilité à prendre les mêmes décisions que moi en mon absence. Cela nous permet de prendre régulièrement des jours à terre pour retrouver notre famille. Je vous le présenterai dès qu'il aura terminé sa tournée d'inspection.

Harry hocha la tête pour exprimer sa sympathie.

— Ne croyez cependant pas que la vie soit si insupportable ici. Comme je vous l'ai dit, le ministère fait son possible pour rendre notre séjour tolérable, et nous pouvons obtenir à peu près ce que nous désirons, dans les limites du raisonnable, bien entendu. En particulier, nous avons les meilleurs produits de bouche. Vous pourrez y goûter tout à l'heure au déjeuner.

Cerberus Carcer leur montra ensuite sa galerie de tableaux. Ceux-ci représentaient les divers couloirs de la prison. Alors que Harry était en train de comprendre en quoi ça consistait, un sorcier apparut dans une des toiles et confirma son impression :

— Rien à signaler dans la tour Nord, Monsieur le Directeur.

— Merci, Abner, répondit courtoisement Carcer.

— Ce sont des portraits disséminés dans tous les bâtiments dont les personnages peuvent passer de l'un à l'autre, comme à Poudlard, devina Harry.

— Exactement. Quand il a été décidé de se passer de l'aide des Détraqueurs, il a fallu trouver des solutions pour remplacer leurs bons offices. Monsieur le ministre a soumis cette idée et nous avons passé une commande auprès d'un peintre.

— Nous aussi, on a fini par y penser, remarqua Harry en regardant son commandant.

— Comme nous ne communiquons pas tellement nos idées entre nous, nous avons tendance à réinventer la baguette, convint Faucett. Je connaissais le système de surveillance de la prison, bien entendu, mais comme notre précédente expérience avec les tableaux avait été invalidée par le Magenmagot, je n'avais pas pensé à les réutiliser.

Après que le tableau de Julian Flemming eut été remis en service en 2005, Faucett avait établi un protocole avec le Magenmagot pour déterminer dans quelles conditions cet usage serait accepté en justice. Ils avaient ainsi pu le réutiliser à deux reprises depuis, sans invalider leur procédure.

Les tableaux représentaient non seulement les couloirs et les cellules de la prison, mais aussi les abords, c'est-à-dire les berges escarpées donnant sur la mer glacée, et des pièces plus larges comme un immense réfectoire, dont les tables longues évoquèrent la Grande Salle de Poudlard à Harry. Il y avait aussi d'autres endroits comme une infirmerie, la cuisine, des réserves de provisions, une cour nue et des ateliers.

— Vous confectionnez des objets ? s'étonna Harry.

— Encore une idée du ministre. Il a fait remarquer que les prisonniers perdaient l'habitude de travailler durant leur séjour parmi nous, et qu'ils avaient ensuite du mal à s'y remettre une fois leur peine terminée. On a donc passé des accords avec les guildes qui nous ont confié des travaux pas trop compliqués, mais longs et fastidieux, que nous leur revendons. Cela a également pour conséquence de permettre aux prisonniers de se constituer un petit pécule avec lequel ils peuvent vivre à leur sortie, le temps de se trouver un moyen de subsistance.

— Certains trafiquants sont irrécupérables et retombent très vite dans leurs mauvaises habitudes, mais il est vrai que certains arrivent à se ranger grâce à cette petite aide qui leur est apportée, reconnut Faucett.

— Les Mangemorts en bénéficient-ils aussi ? demanda Harry.

— Nous avons beaucoup hésité, mais le ministre nous a convaincus qu'ils seraient plus faciles à garder s'ils ne devenaient pas fous de solitude et d'ennui. Ceux qui sont condamnés à perpétuité peuvent améliorer leur ordinaire ou verser de l'argent à leur famille.

— Certaines peines sont-elles allégées pour bonne conduite ? s'enquit encore Harry qui savait que c'était le cas chez les Moldus.

— Seulement pour les vols et petites embrouilles. Pour les crimes de sang et l'utilisation des Impardonnables, elles s'appliquent telles que le Magenmagot les a prononcées. Je sais que cela a été discuté quand il y a eu la réforme judiciaire, mais nous avons tenu bon.

Bielinski a encore des combats à mener, songea Harry. En ce qui le concernait, il ne pensait pas que les Mangemorts récupérables. Quant aux meurtriers, les juges avaient normalement déjà pris en compte les circonstances atténuantes dont ils pouvaient se prévaloir et il trouvait normal que la peine prononcée s'applique dans son intégralité. Mais il était conscient que son métier l'influençait et qu'Hermione, pour ne parler que d'elle, n'aurait pas forcément la même vision que lui.

Ensuite, Carcer leur montra les plans de l'endroit. Harry vit que chaque tour était indépendante : les prisonniers mangeaient, étaient soignés et travaillaient sans quitter leurs quartiers.

— Il n'y a vraiment pas de passage d'un lieu à un autre ? demanda l'Auror après avoir attentivement examiné le plan.

— Si, bien entendu, pour que les gardiens puissent aller là où leur présence est la plus utile, mais ils ne sont pas reportés ici, de peur qu'un prisonnier s'en empare et s'en serve pour se faire la belle. Ceux qui travaillent à la surveillance sont instruits par leurs collègues de ce qu'ils ont besoin de savoir. Seuls les plus anciens gardiens, mon adjoint et moi-même connaissons tous les corridors, et encore, je suis certain que certains ont été oubliés.

Harry songea avec nostalgie au labyrinthe que représentait Poudlard et à une certaine carte que des aventuriers avaient tracée. À ce moment, un personnage apparut dans le tableau qui représentait le réfectoire :

— Bagarre à la table six, annonça-t-il laconique. C'est encore Catraze qui fait son intéressant.

Le directeur sortit un miroir de sa poche et appela :

— Kenneth Towler.

— Si c'est pour la cantine, je suis en train de régler ça, Cerberus, répondit une voix jeune. J'ai appelé du renfort, et Al passera les trois prochains jours à l'isolement.

— Très bien. Nous t'attendons dans mon bureau.

— J'arrive dans un quart d'heure, le temps que les choses se calment ici.

— D'accord.

Le directeur se tourna vers ses hôtes et remarqua :

— Ces nouveaux miroirs nous ont bien simplifié la vie. Nous utilisions des feuilles volantes pour communiquer d'un point à l'autre de la prison, mais ce n'était pas très pratique car, vu la superficie du bâtiment, certains mots mettaient un quart d'heure avant d'atteindre leur destinataire. Je ne sais pas qui a eu cette idée de communication instantanée, mais je lui en suis très reconnaissant.

— C'est une vieille technique magique qui a été remise au goût du jour, expliqua Harry.

Towler arriva enfin. Son nom avait rappelé des souvenirs à Harry. C'était un Gryffondor, qui avait fait partie de la classe des jumeaux. Ils se saluèrent puis Carcer annonça :

— Notre déjeuner nous attend dans mes appartements.

Ils franchirent plusieurs grilles, donnèrent plusieurs mots de passe, et foncèrent dans des murs qui n'étaient que des illusions, avant de parvenir devant une porte qui semblait être celle d'un placard à balai. Le directeur murmura un dernier sésame et ils se retrouvèrent dans un salon cossu.

Harry eut à peine le temps d'en admirer les meubles marquetés car il fut mené dans une salle à manger où le couvert était dressé pour quatre.

— Je vous en prie, prenez place, les enjoignit le maître de maison.

Harry se trouva face à une fenêtre qui donnait sur le donjon central de la prison.

— Est-ce là que Sirius Black était emprisonné ? demanda-t-il alors que Carcer faisait apparaître le premier plat sur la table d'un coup de baguette.

— Effectivement, répondit-il pendant que Towler commençait à les servir. Nous n'avons jamais compris comment il avait réussi à s'échapper. La meurtrière de sa cellule ne faisait que dix centimètres de large et les barreaux de sa cellule étaient intacts. Certains pensent qu'il a bénéficié de la complicité des Détraqueurs mais cela n'a jamais été prouvé.

Harry était heureux que Sirius ait pu s'échapper, mais son devoir était de prévenir d'autres évasions, dont les acteurs seraient moins innocents.

— C'était un animagus non déclaré, révéla-t-il donc. Il était tellement maigre qu'il a pu passer à travers les barreaux. Sous cette forme, les Détraqueurs ne pouvaient ni l'atteindre ni le repérer. Il a réussi à se faufiler jusqu'à la sortie et à nager vers la côte.

Il frissonna en songeant à l'eau glacée sur laquelle il venait de naviguer, et mesura avec acuité ce que son parrain avait fait pour lui.

— Comment savez-vous ça ? demanda Carcer, éberlué.

— C'est lui qui me l'a dit, spécifia Harry provoquant une exclamation de surprise de la part de Towler.

Faucett paraissait plus intéressé qu'étonné. Harry supposa que Pritchard lui avait parlé de la conversation qu'ils avaient eue, il y avait bien longtemps aux archives à propos du prisonnier évadé, et que son commandant avait lu la version qu'il avait donné des évènements.

— Je pense que je vais ajouter un examen à la procédure d'enregistrement des nouveaux prisonniers, commenta lentement Carcer.

— D'autres révélations de ce genre à faire, Potter ? demanda Faucett d'une voix amusée.

— Vous connaissez la façon dont Croupton Junior s'est enfui ? tenta Harry.

— Le professeur Dumbledore a envoyé une note à ce sujet à mon prédécesseur, l'informa le directeur de la prison. C'est de cette époque que date le Portique de Vérité de l'embarcadère de la côte. Vous le repasserez au retour.

Au cours du repas, Harry en apprit plus sur l'organisation de la prison, le travail des gardiens, leur recrutement. C'était un travail très bien payé et qui offrait de nombreux avantages en nature, non seulement pour motiver les candidats, mais aussi pour qu'ils soient moins vulnérables à la corruption.

— Sait-on comment l'évasion massive de Mangemorts a pu être possible en 95 ? s'enquit Harry.

— Vous-Savez-Qui avait déjà rallié les Détraqueurs à sa cause. Ce sont eux qui ont attaqué les gardiens et ont permis aux détenus de s'enfuir. Cinq gardiens ont perdu leur âme, cette nuit-là.

Le directeur n'avait pas exagéré sur la qualité des denrées alimentaires qui lui étaient livrées. Le repas égalait ce qu'on trouvait dans les grands restaurants et, si Harry n'avait pas eu le donjon de la prison devant lui, il aurait pu oublier où il se trouvait.

Quand ils se levèrent, la visite reprit. Harry découvrit l'infirmerie et le réfectoire désormais déserté. Avant de passer en revue les cellules et de croiser les prisonniers, Harry se métamorphosa car il ne voulait pas que sa visite devienne un évènement. Le petit groupe visita l'atelier et parcourut quelques-uns des couloirs qui desservaient les cellules. On en montra une qui était vide à Harry qui put ainsi mieux se rendre compte des conditions de détentions des prisonniers.

— Voulez-vous visiter le donjon ? demanda ensuite Cerberus Carcer.

Harry hésita, peu attiré par l'idée de rencontrer les mages noirs qu'il avait mis sous les verrous. Mais il savait aussi que cette visite avait pour but de lui faire toucher du doigt la réalité de son métier – c'était là qu'on envoyait ceux qu'il livrait au Magenmagot – et il décida que cela faisait partie de ses attributions, tout aussi désagréable que cela puisse être. Il raffermit donc son visage d'emprunt et suivit ses hôtes dans les entrailles de la plus sombre des tours.

Le début de sa visite lui avait déjà fait connaître l'atmosphère particulière du lieu de détention : les couloirs sonores, percés de meurtrières et dont la seule décoration était les tableaux-espions, le bruit des grilles en fer qu'on ouvrait et l'écho des portes claquées. Le tintement particulier des trousseaux de grosses clés, les remontrances sèches des gardiens quand les prisonniers dévisageaient leurs visiteurs avec trop d'insistance, les regards perdus et douloureux ou au contraire durs et haineux.

Quand le groupe franchit le seuil du donjon, Harry eut l'impression qu'une lourde chape s'abattait sur ses épaules. Il eut la sensation que l'air devenait visqueux et délétère. Était-ce l'ancienne présence des Détraqueurs qui avait laissé des traces, ou le lourd désespoir des prisonniers qui pour la plupart se savait là jusqu'à leur mort ?

Carcer et Towler, qui s'étaient montrés diserts durant tout le début de leur périple, étaient désormais silencieux, preuve que l'habitude ne suffisait pas à se défaire de l'inconfort que provoquait l'endroit. Seuls le bruit de leurs pas sur la pierre et les hurlements d'un prisonnier qui s'élevaient régulièrement ponctuèrent le quart d'heure qu'ils passèrent dans les lieux. Harry osa à peine regarder à travers les barreaux des cellules, répugnant à dévisager leurs occupants comme des animaux de zoos.

Enfin, ils débouchèrent de nouveau dans la cour centrale, et Harry respira avec soulagement l'air vif du dehors. Il réalisa alors qu'il n'avait pas demandé dans quelle cellule son parrain avait passé tant d'années. Mais sans doute était-ce préférable. Il n'avait pas besoin de cette image dans sa mémoire, en plus de celles qu'il avait amassées durant ses années de lutte.

— Même si cela ne saute pas aux yeux, dit Carcer, nous avons grandement amélioré les conditions de détention dans le donjon. Autrefois, les cellules n'étaient pas chauffées. Nous avons aussi amélioré l'hygiène des prisonniers, ainsi que leurs rations alimentaires.

Harry avait effectivement vu les braseros dans les couloirs mais il n'avait pas pour autant cessé de frissonner tout le temps qu'il était resté à l'intérieur. Il fut soulagé de constater que la visite touchait à sa fin. Le directeur de la prison et son adjoint les raccompagnèrent au quai où la barque les attendait. Les autres visiteurs étaient déjà arrivés et patientaient d'un air morose sur les étroits bancs de l'embarcation. Harry remarqua que Pansy n'avait plus son balluchon, sans doute un cadeau pour la personne qu'elle était venue voir.

En voyant Harry, le gardien qui menait l'esquif fronça les sourcils, mais Carcer lui fit signe de le laisser passer. L'Auror se souvint alors qu'il était toujours sous son visage d'emprunt, mais se sentit trop vidé moralement pour prendre la peine d'annuler la magie qui l'avait transformé.

Harry garda les yeux sur l'île d'Azkaban jusqu'à ce qu'elle disparaisse à l'horizon. C'est d'un pas engourdi qu'il prit pied sur le ponton. Il vit le regard méfiant des gardes, mais son commandant le poussa sous le Portique de Vérité et il se sentit reprendre son aspect originel. Les gardiens hochèrent la tête, satisfaits de constater l'efficacité de leur dispositif.

Ce n'est que le lendemain matin, après une bonne nuit de sommeil pelotonné contre Ginny, que Harry se sentit de nouveau en forme. Ce jour-là était le dernier pour Faucett en tant que commandant des Aurors, et il y aurait une petite fête pour lui souhaiter bonne chance dans sa nouvelle fonction.

Harry et Janice avaient pris en main l'organisation des festivités. La plupart des Aurors seraient présents, ainsi que Tiern Watchover de la police magique et Kingsley Shacklebolt. Janice s'était chargée de se procurer de quoi garnir le buffet, tandis que Harry avait acheté le cadeau d'adieu offert par la brigade. Après réflexion, il s'était décidé pour une belle aumônière dans laquelle il avait mis un sous-main en cuir de dragon, un plumier garni de plumes d'oie et d'un porte-plume moderne en ébène et tout un assortiment de feuilles de papier de luxe.

L'ambiance fut festive et on ne travailla pas beaucoup au bureau des Aurors ce jour-là. Heureusement, en ce 31 décembre, les services du ministère étaient ralentis, et ils n'avaient pas d'enquête brûlante en cours.

*

Dès le lendemain matin, Harry prit place dans le bureau qui était maintenant le sien, bien que ce soit un jour férié. Il estimait en effet qu'il pouvait difficilement prendre un jour de congé le premier jour de son entrée en fonction. Au salut jovial de ceux qui étaient de garde, il eut la confirmation que son geste était apprécié.

Ils eurent heureusement peu d'appels ce jour-là, mais, dès le lendemain, l'activité reprit à un rythme plus normal. De son côté, Harry se rendit compte qu'être assisté de l'ancien commandant ou seul à bord était loin d'être la même chose. Il n'avait personne pour lui rappeler les tâches qu'il devait effectuer ni l'horaire des réunions auxquelles il était supposé se rendre.

Il arriva ainsi en retard et relativement essoufflé au point hebdomadaire de la Justice magique. Cette réunion réunissait le chef du département, le commandant des Aurors, celui de la police magique et les responsables des quatre autres services qui composaient le département – Usages abusifs de la magie, Détournement de l'artisanat moldu, Détection des faux sortilèges de défense et Contrôle de l'équipement magique. Il se sentit rougir quand son arrivée fut saluée par le sourire bienveillant mais un peu moqueur de ceux qu'il avait fait attendre. Il eut l'impression de revenir dix ans auparavant, quand il était arrivé dans la brigade, jeune aspirant Auror ayant tout à apprendre.

Mais ce ne fut pas le pire : mal organisé, il dut travailler tout une nuit pour donner à temps le planning de la brigade, eut du mal à vérifier dans les délais les dossiers qui devaient être remis au Magenmagot et reçut une note lui apprenant que la note justificative de son budget n'avait pas été déposée au service à la date prévue.

Dix jours après son entrée en fonction, il contemplait son bureau recouvert de papiers et de parchemins, songeant avec consternation à tout ce qui lui restait à faire, quand on frappa. À sa réponse, Owen passa la tête par l'entrebâillement de la porte. Harry se força à sourire à son ancien coéquipier. Avant de partir, Faucett avait placé Owen avec Albert Hurtz, qui était spécialisé dans les réseaux complexes de trafics de substances interdites.

— Tu as cinq minutes pour prendre un verre ? lui demanda son ami.

— C'est la meilleure proposition qu'on m'ait fait ces dix derniers jours, jugea Harry.

— C'est inné chez moi, le renseigna aimablement Owen.

— Ça tombe bien, je pense que j'ai besoin de bonnes idées.

— C'est quoi ton problème ? demanda son ami en entrant complètement et en fermant la porte derrière lui.

— Tout va bien. J'ai parfaitement compris ce qu'on attend de moi. Je suppose qu'au bout d'un an ou deux, j'aurai pris le rythme, et que j'arriverai à l'heure à mes réunions et que mes rapports seront remis dans les temps. Le seul petit défaut, c'est que je ne vais plus sortir de ce bureau durant les vingt prochaines années. Peut-être même que je vais faire comme Binns et, un jour, ne pas me rendre compte que je suis mort et venir quand même m'emmurer ici.

— Évite d'aller faire de la retape à Poudlard avec ce genre d'état d'esprit, lui conseilla Owen.

— Tu m'es d'une grande aide, ironisa le nouveau chef des Aurors.

— C'est si dur que ça ? Je suppose que si tu oublies un rapport ou deux, le monde magique ne va pas s'écrouler.

— Oui, enfin, avec ce genre d'argument, on passe son temps à faire la sieste au bureau. Ce n'est pas ma conception des choses. Même si m'en abstenir n'entraîne pas mort d'homme, certaines tâches administratives doivent être faites, et il semble que ce soit devenu mon rôle de les accomplir.

— C'est l'homme qui fait la fonction, dit sentencieusement Owen.

— C'est de qui ça ? Du roi Arthur ?

Owen ne répondit pas. Il sortit sa baguette et fit apparaître deux verres et une bouteille de whisky Pur-Feu qui devait venir de chez lui. Il les servit.

— Ce que je veux dire, précisa-t-il, c'est que c'est à toi de décider qui fait quoi. Tu es le chef, non ? Il est indispensable d'aller chercher les vieux dossiers au fin fond du dixième niveau, mais tous les seniors envoient leurs jeunes coéquipiers pour ne pas avoir à s'y rendre. Si tu estimes que tu es plus utile sur le terrain, choisis un homme de confiance pour lui refiler une partie de ta paperasserie indispensable et sors t'aérer un peu.

— Donc je récupère le titre et la paie, et je fais bosser quelqu'un à ma place ? analysa Harry.

— Crée un titre avec la paie qui va avec, proposa Owen. Sous-commandant, ça en jette, non ?

— Je ne peux pas inventer ça comme ça !

— Pourquoi pas ? À ton avis, pourquoi as-tu été désigné pour ce poste ? Tu n'as jamais spécialement brillé en paperasserie et encore moins pour le respect des règles. Tu as même passé pas mal de temps à protester contre le manque de souplesse de nos méthodes. Fais ce pour quoi tu as été nommé : modifie la fonction, mets en place tous les changements que tu juges bons pour la protection des sorciers contre la Magie Noire.

Harry fixa un moment son ami sans répondre, séduit par les perspectives qu'il venait de lui présenter.

— Tu disais que c'était inné chez toi ? finit-il par demander.

— Oui, je suis naturellement fort, beau et intelligent, reconnut modestement Owen.

— Parfait. J'ai justement besoin d'un sous-commandant. Tu as le poste.

Owen eut un petit sourire avant de répondre :

— Je suis honoré par ta proposition et serai ravi d'y répondre favorablement... dans dix ans. Là, tu vas te mettre tous les seniors à dos, et je serai l'Auror le plus détesté de la brigade.

Il était certain que le carriérisme d'Owen devait faire grincer quelques dents. Mais au moins, il gardait la tête froide et préférait garder de bonnes relations avec ses collègues, plutôt qu'obtenir trop de pouvoir sur eux.

— Je suppose que c'est à Janice que je dois le proposer. Je ne sais pas si elle va apprécier plus que moi d'être cantonnée au bureau, soupira Harry. Mais je vais quand même voir avec elle.

*

Harry attendit avec impatience que Janice rentre de sa mission sur le terrain. Dès qu'il entendit sa voix raisonner dans la grande pièce, il lui fit signe de la rejoindre.

— Oui, Harry ? demanda-t-elle en entrant dans le bureau.

Même si elle était prise par son enquête en cours, elle l'avait assisté plusieurs fois au cours de la semaine passée pour qu'il ne soit pas complètement submergé par les procédures qui ne lui étaient pas encore familières.

— Janice, commença Harry sans ambages, si je fais ce que faisait Faucett, je vais devenir dingue en moins d'un mois.

— Je comprends que cela te paraisse un peu austère, répondit sa collègue. Mais quand tu auras les choses en main, tu pourras proposer des améliorations. Ça t'intéresse, ça, non ?

— Je vais mourir d'ennui si je ne sors pas de ce bureau.

— Moi aussi, répondit-elle. C'est pour ça que je n'aurais jamais accepté ce poste.

— En fait, continua Harry, j'ai eu l'idée – enfin, plus exactement, Owen m'a donné l'idée – de diviser en deux la fonction, pour avoir le temps de faire autre chose que de classer des papiers derrière mon bureau.

— Pas moi, assena Janice sans le laisser terminer. Remplacer le commandant quand il est pris ailleurs ou l'aider quand il est surchargé me suffit amplement. Je n'aurais pas accepté le poste de commandant en second si cela avait demandé davantage.

— Je vais essayer de trouver quelqu'un d'autre, soupira Harry d'un ton abattu.

— Bonne chance, lui souhaita Janice. Pour aujourd'hui, tu as besoin que je t'aide pour une tâche précise ?

— Non, ça ira, la libéra Harry, démoralisé.

Il regarda un moment la porte qui s'était refermée en se demandant pourquoi il n'avait pas refusé l'offre de Kingsley avec autant de désinvolture. Il était trop tard, maintenant. Il lui fallait absolument trouver une personne qui accepte de rester à sa place dans son bureau. Mais qui accepterait parmi les Aurors ? Tous aimaient le terrain.

Pouvait-il se permettre de choisir quelqu'un ne faisant pas partie de la brigade, sur des critères purement administratifs ? S'il le faisait, que se passerait-il quand il serait absent et que cette personne donnerait des ordres à sa place ? Les Aurors accepteraient-ils son autorité ?

Non, il fallait quelqu'un qui se résigne à rester au bureau, tout en ayant suffisamment de légitimité pour que les pourfendeurs de magie noire acceptent sa tutelle. La solution qui vint à Harry était si évidente et naturelle, qu'il se demanda comment il n'y avait pas songé plus tôt.

*

Son ancien mentor l'accueillit chaleureusement, quand Harry fit interruption dans son salon.

— Je ne t'ai pas encore félicité pour ta promotion ! fit-il une fois Harry confortablement installé avec une Bièraubeurre servie par Mrs Pritchard.

— Justement, c'est de ça que je voulais te parler. Je voudrais déléguer certaines tâches à une personne qui se trouverait juste en dessous de moi, hiérarchiquement parlant. Est-ce que tu accepterais de remplir ce rôle ?

Pritchard en resta muet de stupéfaction avant de bredouiller :

— Mais... je ne peux pas revenir au QG ! Je ne peux même pas marcher sans canne !

— C'est essentiellement un travail de bureau, fit remarquer Harry.

Le visage de Pritchard se ferma et il dit d'une voix glaciale :

— Je ne veux pas qu'on me donne un travail de planqué. Je n'ai pas besoin de ta pitié.

— Mais tu... commença Harry pris de court avant de s'indigner. Ce n'est pas de la pitié !

Mrs Pritchard avait abandonné son ouvrage et regardait son mari avec inquiétude.

— Stanislas, reprit Harry, j'ai besoin qu'on m'aide à effectuer le travail énorme qui consiste à attribuer les missions et suivre ce que font les équipes en lisant leurs rapports. J'ai besoin de ton expérience, j'ai besoin de ton bon sens, j'ai besoin de ta diplomatie, continua-t-il en s'échauffant. Je te demande de m'aider !

Il vit qu'il avait touché son ancien partenaire mais il y avait aussi de la fierté et de la douleur dans son regard.

— Revenir pour être derrière un bureau, murmura-t-il.

— C'est un poste sensible qui demande des compétences très rares, opposa Harry la gorge serrée, supportant mal de voir l'homme diminué qu'était devenu son mentor.

— Il a raison, le soutint Mrs Pritchard. Tu vas devenir fou à regretter ton travail perdu. C'est une occasion inespérée d'y revenir.

Son mari se passa la main sur la nuque puis devant les yeux, comme pour s'obliger à réfléchir. Il finit par regarder Harry :

— Tu as créé le poste pour moi ? demanda-t-il.

— Non, pour moi, répondit franchement Harry. Je ne supporte pas l'idée de passer les trente prochaines années sans quitter mon bureau.

Il songea un peu tard que la formulation était maladroite, car elle renvoyait brutalement Pritchard à ce que serait son futur. Mais celui-ci sembla s'en satisfaire.

— D'accord, je suis ton homme, dit-il en tendant sa main à serrer.

— Très bien ! dit Harry en respirant à fond.

Il n'avait pas réalisé à quel point il tenait à la présence de Pritchard à ses côtés. Il se sentit rassuré à l'idée d'avoir auprès de lui une personne en laquelle il avait une totale confiance, à qui il pourrait demander des conseils sans avoir honte de son ignorance.

— Pritchard... commença-t-il.

— Je croyais que tu m'appelais Stanislas, lui fit remarquer son interlocuteur. D'ailleurs, tu ferais bien de dire Stan, comme tout le monde.

— D'accord, Stan. Merci.

— De rien... Commandant.


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