François prit un air contrit :

— J'ai rien dit, se défendit-il.

— Tu l'as pensé très fort, alors, le taquina Tamara. On a acheté notre appart avec l'argent de notre père, expliqua-t-elle.

— Vous avez hérité ?

— Pas exactement. Pour commencer, même si on nous avait volé les toiles et la collection d'art de notre père, il y avait pas mal d'argent à la banque, en liquide et en actions. Pour le compte courant, Cosima avait une procuration, c'est comme ça qu'on a pu se débrouiller après la disparition de Papa, puis cantiner* correctement pendant notre emprisonnement. Par contre, il ne restait pas grand-chose quand on est sorties, ce qui a décidé Cosima à entreprendre une action en absence auprès d'un tribunal. En attendant d'avoir accès aux autres comptes, on a vécu sur le salaire de ma sœur, vu que j'étais en formation. On s'était trouvé un studio en périphérie et on se limitait au strict nécessaire. Quand ils ont constaté qu'effectivement, il n'y avait plus trace de notre père nulle part, le jugement d'absence a été prononcé et nous avons pu devenir gestionnaires de sa fortune, sous le contrôle d'un juge. On a vendu des actions pour acheter l'appartement, ce qui a été accepté, car cela n'entamait pas le capital. On peut aussi récupérer les dividendes, ce qui nous sert d'épargne. Je ne serai pas à ta charge, même s'il me faut un peu de temps pour trouver un nouvel emploi.

— Quand est-ce que le décès de ton père pourra être enregistré ?

— D'ici quelques mois, on pourra le demander, car cela fera dix ans qu'il a été jugé absent. Mais je ne sais pas si Cosima aura le courage de faire la démarche. Cela nous permettrait de liquider l'héritage, mais on n'en a pas vraiment besoin. Quoi qu'il en soit, dans dix ans, le décès sera automatiquement déclaré.

— D'accord, résuma François. L'argent n'est pas un problème pour toi. Mais ton patron, comment il va faire demain matin, quand tu ne te présenteras pas à ton poste de travail ?

— Comme il le fait quand on tombe malade : il reporte tous les contrôles techniques et se concentre sur les réparations. Il trouvera rapidement quelqu'un pour me remplacer, j'en suis sûre. Je vais l'appeler tout de suite pour le prévenir.

Elle se leva puis s'arrêta.

— Tu veux vraiment que je reste ? demanda-t-elle une lueur incertaine dans les yeux.

Il se redressa à son tour, la serra contre lui et assura :

— Rien ne pourrait me faire plus plaisir.

* Cantiner : achats que peuvent faire les prisonniers pour améliorer leur ordinaire (nourriture, livres, vêtements)