En novembre, un collègue de François était sur le point de devenir père. C'était son premier enfant et toute l'équipe fut témoin de la montée de sa nervosité au fur et à mesure que le terme approchait. François détestait les futurs pères. Ils lui rappelaient qu'il ne l'avait jamais été. L'arrivée de Julien s'était déroulée dans un contexte difficile et il n'avait pu s'en réjouir à aucun moment.

Quand il avait eu son fils dans les bras, il avait fait de son mieux pour l'entourer de soins et de tendresse. Cependant, les premiers temps, il avait eu du mal à ressentir autre chose qu'un sentiment de responsabilité. Il lui avait fallu plusieurs semaines pour devenir réellement le père de ce bébé et se considérer autrement que comme un simple géniteur.

Il savait que les neuf mois de gestation permettaient aux parents à tisser des liens avec leur enfant à naître. Il avait toujours eu l'impression d'avoir été spolié de cette période formatrice et tendre. Tamara lui avait volé ces moments magiques et cela avait fait partie des griefs qu'il avait eus à son encontre.

Il ne savait pas quand il s'était résigné à ne jamais vivre cette expérience. Était-ce après son divorce ? Quand il avait dépassé les trente-cinq ans ? Quand il avait fêté sa quarantaine ? Quoi qu'il en soit, il ne pouvait entendre son collègue s'inquiéter pour la naissance à venir ou appeler sa compagne pour vérifier que tout allait bien sans ressentir un pincement au cœur.

Pour la première fois, il se demanda comment Tamara avait vécu ces neuf mois. Pourquoi avait-elle accepté sans protester de lui céder sans réserve la garde de Julien ? Pourquoi n'avait-elle pas donné signe de vie durant toutes ces années ? Et surtout, pourquoi n'avait-elle pas rétabli la vérité sur les causes de sa grossesse ? Quand il lui avait posé la question le premier été, elle avait répondu que cela n'aurait servi à rien, car il ne l'aurait pas crue. Il n'avait pas argumenté, mais il pensait qu'elle se trompait. Si elle lui avait écrit, il aurait pris sa parole en considération.

Il ne savait pas si elle aurait pu le convaincre, mais au moins, cela aurait instillé le doute. Le silence de Tamara l'avait au contraire conforté dans son erreur et cela avait pesé sur son incapacité de parler de Tamara à Julien. Comment lui en donner une image positive alors qu'elle avait tacitement admis l'avoir conçu par calcul ? Comment justifier auprès de son fils qu'elle ne se soit jamais manifestée quand il ignorait tout de ses motivations ?

Il savait qu'il aurait dû la contacter et poser toutes ces questions. Mais la certitude de ce péché originel lui avait causé une telle répulsion qu'il n'avait jamais pu s'y résoudre. Il n'en avait jamais reparlé avec Tamara, ne voulant pas accroître ses regrets ou paraître lui reprocher son silence. Cela ne servait à rien de s'appesantir sur ce qu'ils ne pouvaient pas rattraper. Comme lui avait dit Tamara un jour, il valait mieux se concentrer sur le présent et l'avenir.

Il lui vint peu à peu à l'idée que rien ne les empêchait d'avoir une seconde chance.