3 - Ninjas, disputes et châteaux de sable

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Un livre de poche en main, je lis paisiblement. Le feu de la cheminée me brûle le dos, et c'est loin d'être désagréable. Je recommande à toutes les personnes qui sont frileuses d'équiper leur cheminée d'un bord assez large, ce n'est peut-être pas l'assise la plus confortable mais c'est certainement ma préférée en hiver, celle où je peux lire, regarder la télé, penser, en étant dans l'endroit le plus chaud possible.

Il faut juste veiller à ne pas brûler. Ça m'est déjà arrivé une fois, ce n'est pas ce qu'il y a de plus agréable et j'y ai gagné une polaire avec deux trous. Je l'ai encore dans mon placard d'ailleurs.

J'ai du mal à me concentrer sur mon livre, avec mon frère qui regarde la télévision à quelques mètres, avachi sur le canapé du salon. Léo, concentré sur son dessin animé, ne me prête aucune attention, mais ce n'est pas réciproque.

La télévision, peu importe notre âge, agit comme un aimant, ou comme une radio quand notre boîte magique n'existait pas. On ne peut pas s'empêcher de la regarder quand on passe à côté et qu'elle se trouve dans notre champ de vision. Du coup, je me retrouve à lire un roman de science-fiction en même temps que des ninjas en lego combattent des serpents parlants, deux univers différents qui se mélangent et font que je ne comprend plus rien ni à l'un, ni à l'autre.

Je lâche mon livre, et le pose sur la chaise devant moi. Il ne sert à rien si je ne parviens pas à véritablement lire. Je me lève, et m'avance pour m'appuyer sur le dossier du canapé de cuir noir. Léo est juste là, et se détourne de son dessin animé pour me regarder brièvement.

-C'est bien ? lui demandé-je.

L'enfant de six ans me sourit de toutes ses dents, d'ailleurs il lui en manque une, pile devant. Elle ne devrait pas tarder à repousser, et au moins, la petite souris est passée, alors Léo est heureux de ne plus pouvoir manger de pomme en croquant dedans, de toute façon il n'aime pas trop les pommes, il préfère les abricots, ce qui est selon moi un excellent choix.

-C'est super bien ! Ils vont aller là où il y a le grand dévoreur !

-C'est quoi le grand dévoreur ?

-Un énorme serpent qui veut les manger, m'explique-t-il. Et il a mordu Garmadon, le méchant !

Je souris, comme si ce qu'il dit était d'une logique implacable, et m'éloigne de lui pour le laisser fantasmer sur des bonhommes jaunes en pyjama coloré attaqués par un serpent géant. C'est mignon, ce machin, tout innocent. Comme les enfants qui le regardent, comme Léo, ce petit garçon aux cheveux blonds constamment ébouriffés, comme si sa meilleure amie était une prise électrique.

Maman, dans la cuisine, regarde les feuilletons qui passent tous les soirs, tout en préparant une quiche. Je m'appuie sur le bar, et lui demande si elle a besoin d'aide.

-Tu peux mettre le couvert ? m'ordonne-t-elle.

Je m'exécute, prenant dans les placards cinq assiettes, cuillères, fourchettes et couteaux, dont un au bout rond, pour que Léo n'ait pas la possibilité de se trancher le pouce en essayant de couper son jambon blanc. Je pose le tout sur la table ronde, puis les dispose selon une géométrie que je trouve logique, comme une étoile à cinq branches.

Un pentagramme en fait, un symbole dont la signification peut varier, mais je ne connais pas tout, alors je me tourne vers une grande source de savoir quand on n'est pas encore majeur : ma mère.

-Que veut dire un pentagramme ?

-Pourquoi tu me poses cette question, Aline ? questionne-t-elle en s'essuyant les mains après avoir enfourné la quiche.

-J'ai fait un pentagramme, dis-je en haussant les épaule.

Elle soupire, et parfois je me demande si je ne suis pas une enfant horrible, toujours complètement perchée et incompréhensible.

-Eh bien... je ne suis absolument pas experte, mais il me semble que c'est utilisé pour les Juifs, la magie et des trucs satanistes. Mais ce n'est pas important, Aline, alors reviens sur terre !

Je grommelle que je suis parfaitement accrochée au carrelage, mais sans conviction.

Je sais bien que j'ai la tête dans les étoiles en permanence, que ma bulle ne me quitte jamais, mais en un sens, ce n'est pas grave. Mon monde à moi est bien plus intéressant que le monde réel, où l'amusement le plus commun des gens de mon âge est de regarder une série débile où les personnages couchent ensemble à chaque épisode, mais avec un partenaire différent bien sûr. Je ne comprends juste pas ce qu'il y a de distrayant à ça.

Il est préférable de me recroqueviller dans mon monde, plus simple, qui met en scène les personnes que j'imagine et qui condense les informations que j'amasse sur le monde extérieur. Parce qu'au fond, je n'y comprend pas grand chose à tout cela, à tout ce qui est normal, je ne comprends pas les adolescents normaux. Les seuls qui peuvent entrer dans ma bulle sont mes amis, parce qu'ils sont tout aussi décalés que moi.

-Aline ? m'appelle ma mère. Tu peux aller chercher ton père ?

Je réponds que oui, bien sûr, je peux, et je me concentre momentanément sur la réalité pour me rendre vers le garage, où il fait beaucoup plus froid.

Je sors ensuite, et contemple quelques secondes le crépuscule qui s'abat sur les maisons alentours, sur le jardin. C'est une harmonie de couleurs qui se mélangent, qui se rassemblent, et je me demande si les peintres ont du mal à représenter ce phénomène, car il est tellement étrange qu'il leur faudrait toute leur palette pour créer les bonnes couleurs, et ils n'en seraient toujours pas satisfaits.

Je rejoins le jardin, où mon père est en train de ramasser les dernières citrouilles. Elles sont moins grosses que les autres années, il n'est pas content. Étant toujours en chausson, je ne vais pas dans la terre, mais je vais au plus près de lui et crie :

-Papa ! On mange ! crié-je.

-J'arrive, j'arrive, m'assure-t-il.

Je délaisse le jardin, je n'y ai jamais eu ma place, et retourne dans la maison. Léo et maman sont déjà assis autour de la table, et mon petit frère observe avec envie le pot de rillettes. Je prend une chaise, et attend à mon tour. Dix minutes plus tard, Léo n'a pas eu de patience et il croque déjà une tartine, tandis que papa vient nous rejoindre. Il s'assied en face de moi, et retire son bonnet qui lui fait une tête de lutin, exposant ses cheveux grisonnants.

-Quelle journée ! s'écrie-t-il en se servant à son tour.

Quand ma mère lui demande ce qu'il s'est passé, il explique longuement à quel point la vie d'adulte est compliquée, il en profite pour nous mettre en garde de profiter autant que possible de notre tranquillité, Léo et moi. Maman a ce sourire en coin, qui veut dire qu'elle non plus ne l'écoute plus vraiment au bout d'un moment, elle respecte néanmoins son besoin de parole, parce que nous savons tous que c'est plus simple pour lui quand il parle le soir, et généralement, il parle beaucoup.

Il ne s'interrompt que lorsque Damien daigne nous rejoindre, et s'avachit en soupirant à côté de notre père. Son pull épais de travail est tâché et maman lui recommande de le lui donner, pour qu'elle le lave vite. Il approuve, puis prend le bocal de cornichon et en sort trois.

Je baisse les yeux vers mon assiette, je ne veux pas plus parler, je n'en ai pas besoin, personne n'en a besoin. Damien grommelle, papa lui fait des reproches, lui rappelle de penser à aller voir un médecin pour son rhume, mais mon frère aîné de quatre ans n'en a rien à faire, alors ça repart en dispute, ils crient, tapent contre la table, sont indignés, repartent sur d'anciens sujets de tumulte.

Je savais que ça allait se passer comme ça, encore une fois. C'est toujours pareil quand ils sont ensemble, ils ne peuvent pas se voir et passer un repas calme. Et chaque fois c'est la même chose, ça dégénère et j'ai envie de m'enterrer, de partir, de mettre mes écouteurs et de m'abriter dans mon monde, là où Damien et papa n'existent pas sous cette forme, où ils sont juste deux êtres qui n'entrent pas en contact.

Mais je ne le fais pas, je reste, parce que Léo n'a pas fini de manger. Je le sers en quiche, lui fait un sourire et lui murmure de venir me voir après dans ma chambre, comme d'habitude. Il me répond par un grand sourire ravi et maman nous scrute avec tendresse.

Je m'échappe vite, et mon petit blond aussi. Il vient me rejoindre dans mon petit coin, le grenier que papa a aménagé il y a six ans quand Léo est né pour que je puisse lui céder ma chambre. C'est ma pièce préférée, spacieuse, lumineuse, et chaleureuse. Ici, personne ne passe par hasard, ils viennent tous pour me voir, et je les accueille sur mon lit, sur les poufs que j'ai eus pour mon anniversaire.

Pendant que je ferme les volets, Léo pousse mon cahier de maths de l'un des sièges confortables et prend place dessus, les mains croisées au niveau de son estomac. Puis il me demande ce que j'ai fait aujourd'hui. C'est notre petit rituel : je commence, puis c'est son tour, s'il s'est passé quelque chose d'important, il me le confie et je l'aide à résoudre ses problèmes.

Par exemple, une fois, il avait perdu son doudou pendant une heure entière (un vrai supplice selon lui) et je lui avais donné des conseils pour ne plus l'égarer. Et quand nous n'avons rien à nous raconter, je lui parle de livres, de concepts qui me plaisent, et il ne comprend pas toujours, mais il sait bien écouter.

-Comment ça Noa part ? Tu vas faire quoi toi ? me questionne-t-il quand j'ai fini mon récit de la journée.

-Qu'est-ce que tu veux dire, je vais continuer à aller au lycée comme d'habitude.

-Ça je sais bien, je te demande si tu as des amis avec qui t'amuser en cours, rectifie-t-il.

Je hausse les épaules. Pas vraiment, mais il ne doit pas s'en soucier, je vais me débrouiller, ce ne sont que deux semaines après tout.

-Tu devrais en profiter pour te faire d'autres amis, me conseille-t-il d'un ton doux.

Puis il entreprend de me montrer comment je dois faire, il tend son doudou lapin face à lui, et lui fait un grand sourire, un peu effrayant, à la Joker.

-Bonjour monsieur Carotte, je m'appelle Léo et j'adore votre tee-shirt ! Je peux faire un château de sable avec vous ?

-Je ne fais pas de châteaux de sables, objecté-je doucement.

Il pointe un doigt accusateur vers moi.

-Eh bien tu devrais aller en chercher à la plage, c'est le meilleur moyen pour se faire des amis ! affirme-t-il en levant les bras comme si c'était scandaleux qu'à dix-sept ans on ne se fasse pas des amis autour du bac à sable.

Je ris de l'innocence du petit blond, et l'emporte ensuite dans sa chambre. Il est temps pour lui d'aller dormir. Il me fait un câlin, puis serre son monsieur Carotte dans ses bras couverts d'un haut à manches longues Cars.

-Bonne nuit Aline. Si tu veux du sable, j'en prendrais à l'école, me souffle-t-il.

J'éclate de rire, et abandonne le fait de lui expliquer que ce n'est plus comme ça que les amitiés fonctionnent. Un petit bisou et hop, je retourne à mon grenier.

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