15. Le rouge et le blanc

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Lundi 16 décembre 1968

Une semaine. Voilà une semaine que nous repoussions l'arrivée des soldats, mais cela n'allait pas duré longtemps.
La pièce dans laquelle Hélène et moi étions installés avaient souffert des tirs ennemis. Plusieurs meubles qui nous avaient servis d'abris furent retournés et criblés de balles durant les assauts. Le sol brillait de quelques éclats dorés à la lumière, recouvert de douilles qui sortait de nos armes après chaque coup tiré. Les jambes fléchis près de ma fenêtre, je guettais le moindre signe d'agitation dans la rue. Dehors, au milieu de ce décor fait de rouge et de blanc, des épaves de voitures enflammés et des cadavres de soldats parsemaient le terrain sous la neige qui ne laissait voir qu'une partie de leurs corps. Et parmi ces morts, j'avais conscience que j'étais l'un des responsables de ce qu'ils sont devenues, des animaux à qui nous avions ôté la vie de sang-froid. Au plus profond de moi, je me sentais comme dans une enveloppe vide. Aucune sensation ne me venait à l'exception de la fatigue dû au manque de sommeil. Peut-être étais-je trop fatigué pour penser à la vie qu'auraient pu autrement mener ces soldats ? Pour regretter mes actions ? Pour cette guerre dont nous en sommes tous les victimes ? Je l'ignorais, mais la seule chose que je désirais à présent était de me reposer. Les paupières lourdes, les membres courbaturés et la tête prise de vertige, je ne pouvais résister plus longtemps. J'étais sur le point de relâcher mon attention sur l'extérieur pour m'endormir définitivement quand j'entendis la voix de Hélène s'élever :

-" Speed Bunny, j'écoute ?... Oui je vous reçois 5 sur 5... Foxtrot ? Il est avec moi... Oui, on va bientôt manquer de munitions... D'accord... On se rejoint tous sur le toit. Terminé."

La lapine leva sa tête vers moi et m'annonça d'une voix claire :

-" Mark, réunion sur le toit."

Arraché du sommeil dans lequel je m'apprêtais à m'abandonner, je me relevais, les jambes alourdies par le poids de la fatigue. Je parvins à contrôler mon désir de sommeil aux yeux de ma partenaire qui se dirigea vers la cage d'escalier menant sur le toit. Une fois arrivé près de nos compagnons, Alban, notre chef de groupe, commença par prendre la parole.

-" J'ai quatre choses importantes à vous annoncer. La première : nos munitions sont presque entamés. La deuxième : j'ai repéré plusieurs chars d'assaut en marche vers la frontière."

À l'annonce des deux premières nouvelles, ma fatigue se dissipa et laissa place à la crainte et à la peur de l'arrivée de ces chars. Les autres semblaient aussi nerveux que je l'étais.

-" La troisième ?", demanda l'un des frères léopards d'une voix empreinte de doute.

-" J'ai prévenu l'arrière garde. Ils m'ont répondu que nous ne devions pas céder notre position à l'ennemi. Ils viendront nous chercher mais ils ne m'ont pas précisé dans combien de temps. Étant donné la distance qui nous sépare de l'arrière, en plus du même problème que doit être confronter d'autres groupes, je dirais que les renforts ne viendront pas avant deux heures environ."

Une sensation désagréable me tenailla alors le ventre. Elle vint ensuite dans ma tête où elle sauta en un jet de frissonnements qui continua de se balader dans mon cerveau avant de serpenter le long de mon dos laissant derrière elle une trace de sueur froide. Cette sensation m'était bien connue, c'était le début du désespoir.

-" Deux heures !? Mais on tiendra jamais !", s'exclamèrent les deux félins.

-" C'est pourquoi pour la quatrième, je vous propose une issue de secours.", prononça Alban," Nous partons d'ici pour rejoindre un autre groupe que je contacterai par mon talkie-walkie. MAIS cela restera sans risque. D'une part, une fois au sol, nous ne serons pas les seuls à marcher dans la rue, les soldats qui se trouveront sur notre chemin n'hésiteront pas à nous canarder. D'autre part, avec l'arrivée des chars, l'armée tentera probablement une percée dans nos défenses, et nous, nous serons en plein milieu de leurs feux. Et enfin, je ne vous garantis PAS que nous y parviendrons... Alors ? Vous prenez ?"

Un silence de mort suivit les derniers mots du loup. La solution qu'il proposait me semblait presque irréalisable. Mais après tout, rester n'allait en rien nous arranger. Je désirais plus que tout de partir de cet endroit, loin de cette folie meurtrière qui s'emparait de nos corps et rongeait petit à petit notre esprit.

-" Nous sommes pour.", dirent Karl et Érick, l'ours brun et le caribou (voir chapitre 13) qui n'avaient pas dis un seul mot depuis que nous étions sur le toit.

-" On vient aussi.", affirmèrent Fred et Kev.

Hélène et moi répondîmes de même. Finalement, le choix étant unanime, Alban nous laissa donc quelques minutes pour nous préparer le temps qu'il contacte un groupe se situant aux alentours. Ceci fait, nous descendîmes les escaliers quatre à quatre avant de sortir enfin de notre abri. À cet instant, je vis l'immense différence entre ce que cela faisait d'être à l'abri et d'être dehors. L'odeur de brûlé mêlée à celle des cadavres que dégageait les véhicules en feux était encore plus proche de là où nous étions. Elle était si forte que mon odorat de canidé fut prit de picotements qui me donnèrent presque envie de me briser le nez pour ne plus à avoir à sentir cette horrible odeur. Mis à part ça, la neige que j'avais l'habitude de fouler me semblait plus froide que dans un congélateur. Mais ce n'était pas seulement la neige qui me donnait froid, c'était les cadavres des soldats qui eux me glacèrent le sang. Ces soldats morts étaient tous là, étendus sur le sol et recouverts par la neige. Plus rien ne pouvait les sauver à présent. La fenêtre n'était qu'un portrait de l'extérieur, ce que je voyais autour de moi était simplement la réalité. Je détournais le regard et tentais d'ignorer ces corps allongés qui parfois me faisaient trébucher si je ne restais pas attentif. Les autres ne semblaient pas trop s'en soucier mais au fond d'eux ils devaient probablement l'être. Voir autant d'images cauchemardesques ne pouvais ni être ignoré, ni être oublié. Une personne qui n'éprouverait rien en voyant ça, j'aurais du mal à le considérer comme un animal "civilisé", mais plutôt comme... un sauvage.

Nous nous éloignâmes de notre ancien abri, en route vers le Nord, à la recherche d'un nouvel endroit sûr et d'éventuels résistants. Nous étions au beau milieu de la nuit, des courants d'air frais nous permettaient d'aérer notre corps et de nous débarrasser temporairement de l'odeur de mort qui nous entourait. L'électricité qui alimentait les lampadaires semblait avoir été coupé depuis les premiers contacts avec l'armée. Par conséquent, nous étions plongés dans l'obscurité, seuls les quelques incendies de véhicules et de débris nous permettaient de nous repérer dans la rue à l'exception de la vision nocturne que certains d'entre nous possédaient dont moi. Plus nous nous enfoncions dans l'intérieur de Toundra Town, plus j'avais la sensation de revenir chez moi, en sécurité. Seulement, cette sensation s'atténua bien assez vite lorsque nous vîmes quelque bâtiments s'embraser à une centaine de mètres derrière nous avant de s'effondrer par des coups des feux extrêmement bruyant. Ils étaient arrivés. Les chars nous rattrapaient et commençaient déjà à détruire les immeubles présents sur leurs passages.

-" Et merde... Faut qu'on se dépêche.", dit le loup d'une voix pressée," Avec un peu de chance, les chars se prendront peut-être les mines qu'on a installé tout à..."

Soudain, un petit objet de forme ovale roula près du pied de Karl. Curieusement, j'avais pensé que c'était un morceau de gravat ou quelque chose du même genre provenant d'un des bâtiments détruits par les chars qui aurait atterri jusqu'ici. Mais il se trouvait que cet objet était en faite une...

-" GRENADE !", hurla l'ours qui fut le premier à réagir.

Nous autres eûmes tout juste le temps de plonger au sol alors que Karl, lui, se vautra sur la grenade pour nous protéger. L'explosion produisit un terrible bruit sous le ventre de l'ours qui prit la totalité des dégâts. Son corps se souleva en une nuée de gouttelettes de sang et de neige avant de retomber un mètre plus loin. Érick se leva alors et se précipita sur le corps de l'ours pour lui venir en aide même si je me doutais qu'une personne puisse survivre à une explosion pareille. Au même instant des coups de feu retentirent à notre gauche. Le caribou tomba net au sol après avoir laissé échapper un cri de douleur.

-" RESTEZ À TERRE !", nous ordonna le loup qui rampa vers un débris en métal pour s'y cacher.

Les autres suivirent aussitôt son exemple pendant que les tirs ne cessaient de s'abattre sur nous. Les frères léopards trouvèrent refuge sous une camionnette criblée de balles, Hélène parvint à creuser rapidement un trou dans la neige pour s'y abriter. Quant à moi, je me cachais dans l'abri le plus proche, derrière les cadavres de Karl et Érick. Leurs sangs coulèrent sur la neige qui prit aussitôt une teinte rouge sur un fond de blanc comme les autres corps de soldats que j'avais croisé. Les dégâts qu'avaient causé la grenade sur l'ours étaient effroyable. Je ne pouvais décrire les horribles choses que je voyais, c'était trop pour moi. Je n'allais pas tardé à le devenir aussi si je ne faisais rien. Je saisis donc mon fusil en prenant appui sur le caribou qui avait succombé à ses blessures, et ripostais. Les balles adverses s'enfonçaient dans les deux corps qui m'offraient une protection. J'avais honte de les utiliser comme tels mais je n'avais pas le choix. C'était ça ou la mort.

-" FOXTROT !", m'appela Alban," Regarde dans le sac d'Érick si il y a des explosifs ! On va s'en servir contre eux !"

Sans tarder, je saisis le sac du caribou et l'extirpai de son dos. Je sortis une charge explosive et une grenade qui restaient à l'intérieur.

-" Dépêche-toi !"

À l'aide d'un ruban adhésif, je fis ce qu'on m'avait apprit à l'entrainement. Je collais la grenade sur la charge de façon à combiner les deux explosifs ensemble et ainsi obtenir une plus grande puissance de feu.

-" Ça y est !", dis-je en passant l'explosif à Alban.

Celui-ci la dégoupilla aussitôt et la lança vers l'endroit d'où provenaient les tirs. Une explosion d'une grande violence et plus puissante que celle d'une simple grenade se produisit alors. Des quantités de neige et quelques soldats s'envolèrent, soulevés par la force de l'explosion. Il suivit ensuite de longues plaintes poussés par ceux qui ont été touchés. Nous étions parvenus à faire cesser les tirs temporairement mais en revanche, les chars allaient très bientôt arriver.

-" Mettez vous à l'abri !", cria Alban.

Nous prîmes donc nos jambes à nos cous et chacun se trouva une cachette pour échapper aux chars. Après avoir parcouru une dizaine de mètres, je trouvais sur mon chemin une fontaine de pierre. Sans attendre, je plongeais à l'intérieur, la surface de la fontaine me paraissait étrangement molle lorsque j'atterris. Je mis quelque secondes à comprendre que je n'étais pas seul, car plus d'une dizaine de cadavres, soldats et résistants étaient entassés à l'intérieur. Je voyais autour de moi une jambe ou un bras ou une tête dépassé de la neige imprégnée de leurs sangs. Le visage de certains étaient marqués par la peur, d'autres par la tristesse. Au milieu de cette mare de sang et de neige je ne voyaient que du rouge envahir du blanc. Ces couleurs frappaient sans cesse mon regard jusqu'au point de m'aveugler depuis le début des combats. Cet endroit était un vrai cimetière, la vision de tous ces morts allaient me rendre fou à force. J'avais besoin de fuir d'ici et vite.

Soudain, deux pattes surgirent du tas de corps, l'une empoigna mon bras et l'autre se colla à ma bouche. J'avais envie d'hurler, de crier au secours, de m'échapper mais ces pattes m'entravaient de tout mouvement. Je pensais que la folie venait de s'emparer de moi lorsque la tête d'Hélène apparue sous le bras d'un zèbre mort.

-" Couche toi et fais le mort. Ils arrivent.", me chuchota-t-elle.

Les corps tremblèrent alors, la fontaine toute entière tremblait. Les chars s'approchaient rapidement encadrés par des soldats avançant au même rythme. Soulagé par la présence de la lapine, je me couchais donc en prenant le soin de cacher mon visage avec mon béret et mon corps sous la jambe d'un renne afin de me dissimuler le plus possible du regard des soldats. Le corps immobile et les yeux fermés, je retenais ma respiration lorsque les chars passèrent à côté de la fontaine. Je pouvais entendre le vombrissement de leurs moteurs et les crachotements de leurs pots d'échappement. Je distinguais aussi les pas des soldats qui marchaient tout près de moi. Le stress causé par la présence des morts et la peur de ne plus revoir le jour renforcèrent le désespoir qui pesait depuis un certain temps dans mon esprit. Ce désespoir était devenu si intense qu'il m'était difficile de le contrôler ce qui fit agiter mon corps durant le passage des chars. Je luttai pour reprendre la raison et les droits sur mon corps, mais mes mouvements brusques ne cessèrent pas. À un moment ou à un autre, les soldats allaient le remarquer. C'est alors que je sentis le contact d'une chaude patte se poser sur mon poignet. C'était la seule source de chaleur et remplit de bienveillance qui atténua ma peur et mon stress au milieu du vacarme que produisait les chars et de la froideur provenant de la peau gelée des cadavres. Je tentais de poser mon regard sur la lapine mais je ne pus voir son visage qui était enfouie sous la patte d'un ours polaire. Seule une de ses grandes oreilles dépassait et cela m'était bien suffisant pour que je lui chuchote :

-" Merci."

Plus tard, lorsque les chars passèrent leurs chemins, Hélène et moi nous extirpâmes des corps et sortîmes de la fontaine. Suite au passage des chars, les bâtiments qui nous entouraient avaient été détruis sous leurs tirs, ne laissant plus qu'un champs de ruines derrière eux. Des tonnes de gravats et autre débris couvraient le sol à présent. Ce paysage apocalyptique ne ressemblait plus au Toundra Town que j'avais connus.

-" Speed Bunny pour Wolf Shooter, vous me recevez ?... Je répète Speed Bunny pour Wolf Shooter...", tenta de communiquer Hélène par son oreillette," Merde... Ça ne répond pas. Il va falloir qu'on aille les chercher nous-mêmes."

-" Ouais, je ne vois pas d'autres choix.", dis-je.

Ainsi, nous partîmes à la recherche de nos compagnons dans les quartiers dévastées de Toundra Town.

...

Après avoir passé une heure à retourner les décombres et à fouiller les bâtiments aux alentours, la lapine et moi abandonnâmes les recherches. La neige venait de retomber, il était donc difficile d'y voir clair en plus de l'obscurité de la nuit. Nous décidions de reprendre notre route vers le Nord sans les autres. Peut-être qu'ils étaient tous partis là-bas eux aussi. Nous ne le saurons qu'une fois arrivé à destination. Peu de temps après notre départ, des faisceaux lumineux venant de notre droite éclairèrent les environs et se braquèrent sur nous. Par réflexe, je poussai Hélène vers l'avant et la fis chuter au sol au moment où des coups de feu retentirent. Je plongeais par terre et tentais de rejoindre la lapine en rampant. Cependant, une grenade atterrit entre nous deux et m'empêcha de la rejoindre. Je parvins à m'échapper in extremis avant qu'elle n'explose.

-" Cours Hélène ! Je te rejoindrai là-bas !", lui lançais-je en me relevant.

-" D'accord !"

Je vis Hélène pour la dernière fois se glisser dans les décombres et y disparaître. Quant à moi, je pris le chemin inverse et entrai dans un des rares immeubles à ne pas avoir été détruits dans la zone. J'enfonçais la porte de la cave et descendais les marches rapidement tandis que les soldats me poursuivaient. À bout de souffle, je me laissais tomber dans un coin sombre tout en surveillant la porte que je venais de refermer. En prenant appui contre le mur, une douleur aiguë se prononça soudainement au niveau de mon abdomen et me fit plier en deux. Je posais ma patte gauche dessus puis la retirais. Celle-ci était imprégnée de sang. Une balle avait dû me toucher durant la fuite. Mon cœur commença à s'emballer lorsque je pris conscience de la sensation de se sentir proche de la mort... Non. Je ne devais pas renoncer pour autant. J'ai encore un devoir à accomplir et une famille qui m'attends à l'arrière. Je ne pouvais pas m'arrêter maintenant. Je pris donc une grande inspiration avant de me lever. De lourds bruits de pas résonnèrent alors à l'entrée. Les soldats venaient de pénétrer dans le bâtiment.

-" Il ne doit pas être bien loin. Vous deux, vous me suivez à l'étage.", prononça une voix rauque.

-" À vos ordres !", lui répondirent deux autres voix.

-" Quant à vous, vous gardez l'entrée."

-" Oui, chef."

Les pas s'éloignèrent et montèrent les escaliers menant à l'étage. Il devait y avoir approximativement quatre soldats à mes trousses. Les trois étant partis là-haut, je pourrais peut-être m'occuper du dernier qui est resté en bas. Tandis que je me relevais, je bousculais sans faire attention une table basse où reposait un vase. Le récipient flancha et éclata au sol dans un terrible fracas avant que je ne puisse le rattraper.

-" Qui... Qui est là !?", s'exclama alors le soldat qui gardait l'entrée.

Un frisson de peur parcouru mon dos. Bannissant ma maladresse, je sortis lentement de son holster, la dernière arme que je possédais, mon colt 45 équipé d'un silencieux. Les pas du soldat se rapprochèrent lentement vers la porte de la cave. Ma vue commençait à se troubler, j'éprouvais des difficultés à respirer. Mais je ne pouvais pas lâcher maintenant. Je levais mon pistolet de ma patte droite pendant que l'autre pressait sur la blessure pour éviter que mon sang ne s'écoule trop vite. La porte grinça, je me tenais prêt. Ma patte trembla sous le poids de l'arme mais je tins bon. Il ne me restait plus qu'à attendre que le soldat ouvre la porte avant de pouvoir tirer. Pourvu que je ne m'évanouisse pas...

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